Mon impression sur le film "Le Brio"

La version courte

J'ai été voir le film "Le Brio" (avec Daniel Auteuil et Camélia Jordana comme acteurs principaux). Je ne serais pas aller le voir par moi-même, ça ne semblait pas être mon genre de film, mais quelqu'un m'a proposé, alors je l'ai vu. Je viens de sortir de la séance, c'est donc un avis à chaud. La version courte : c'est le pire film que j'ai vu depuis bien longtemps, pas à cause des acteurs et actrices, pas à cause des décors, mais à cause des messages qu'il me semble renvoyer, à la fin puisqu'au début je trouvais que c'était bien. Pour la version longue, je vais spoiler.

La version longue

Faisons par un "bref" résumé. Avec plein de commentaires au fur et à mesure, pour que vous puissiez comprendre comment je me souviens avoir pensé et évolué dans le contexte.

Neïla Salah, une jeune femme racisée (interprétée par Camélia Jordana), va pour la première fois à l'université. À l'entrée de l'université, il y a un vigile (noir), plein d'élèves passent comme si le vigile n'existait pas, mais pour Neïla Salah il faut montrer une carte, racisme ordinaire (mais "troublant" que ce soit fait par un vigile noir). Elle arrive en retard de 5 minutes à son premier cours magistral (qui est dans un amphithéâtre immense). Le professeur, Pierre Mazard, le lui fait remarquer et en profite pour faire du racisme. Plein d'élèves n'approuvent pas (par exemple en disant "bouh") et Neïla Salah non plus, ouf. On apprend ensuite qu'il n'en est pas à son coup d'essais, il est connu comme raciste par l'université, ni les élèves ni les professeurs ne peuvent le saquer, en tout cas suffisamment pour qu'il soit envisagé de l'exclure. Son supérieur hiérarchique lui dit qu'il n'a pas le choix, il va devoir l'envoyer en conseil de discipline (ou une autre instance similaire), ce qui risque bien pour le professeur par se conclure par une exclusion, si ce n'est pas fait ça retombera sur l'université. Mais le supérieur hiérarchique veut sauver le professeur (pourquoi ? mystère, j'ai peut-être pas capté un truc). Au moins un·e élève a filmé la scène raciste avec Neïla Salah et l'a publié sur un site web, le supérieur hiérarchique l'a fait écouter au professeur. Il y a un concours d'éloquence, le supérieur propose que le professeur y fasse participer Neïla Salah et l'entraîne, le but n'est pas qu'elle gagne, le supérieur dit clairement que ça n'a aucune importance, mais le supérieur émet l'idée que ça pourrait permettre au professeur de sauver sa peau.

Vous connaissez beaucoup de racistes qui aideraient une racisé ? C'est ça l'idée, la réponse semble être non. C'est là pour moi que le film commence clairement à déraper. Avant ça semblait condamner le racisme et montrer comment il est vécu par une personne qui le subit, je ne pouvais qu'approuver (de le montrer, pas de la pratiquer). Mais là, voila l'aubaine : tenter de faire oublier ses fautes (pendant vraisemblablement de nombreuses années) en aidant une personne. Un bon geste pour en faire oublier plein de mauvais. Tenter de faire gober l'expression je suis pas raciste puisque j'ai un ami noir.

Le film a bien commencé, l'étudiante racisée n'avait pas l'air d'une soumise, elle ne va pas se laisser faire, n'est pas ce pas ? Oui, ouf, et merde le film continue.

Ça n'enchante clairement pas le professeur, mais pas totalement idiot il veut sauver sa peau. Il lui propose donc un cours particulier sur l'éloquence, la compétence évaluée par le concours. Après un peu de résistance, elle commence à apprécier le professeur qui s'est comporté comme un raciste décomplexé auprès d'elle, pourtant il y a au moins une autre personne qu'il lui dit que le professeur n'était pas à son coup d'essai pour le racisme. Elle finit par franchement l'apprécier.

L'éloquence, c'est quoi selon ce film ? Parler avec l'accent des dominant·e·s et de la manipulation intellectuelle ! Le professeur le dit clairement : ce qui est important, ce n'est pas la vérité. Il apprend donc des méthodes pour faire passer des trucs faux, mais qui pourraient paraître vrais si on n'est pas attentif. Être menteur/menteuse, arnaqueur/arnaqueuse, c'est vanté ! Ça aurait pu être utilisé pour la faire à l'envers aux injustes et/ou pour dénoncer ce genre de procédés, bah non. Ouf, après avoir usé de "manipulation" sur son amoureux et l'avoir rabaissé avec les règles du Français, la jeune racisée semble se faire lâcher par son amoureux, le film exprimant ainsi implicitement que c'est malsain de manipuler et de rabaisser en montant sur ses grands chevaux universitaires. Mais non, plus tard, il l'encourage dans cette voie, alors qu'elle était en larmes, en mode "j'aurais pas du faire ça".

Pourquoi le retournement de la jeune racisée ? Elle apprend par un autre élève que le professeur l'utilise pour sauver sa peau. Ça ne lui fait pas plaisir, ah ! Elle va le voir et lui dit à l'oreille qu'elle ne sera pas son amende honorable, ou quelque chose de la sorte, en gros elle ne compte pas faire en sorte de le sauver. Elle ne va donc pas à la finale du concours d'éloquence et met donc un lapin au professeur, ce qui n'est pas bon pour sauver sa peau. C'est à ce moment que l'amoureux de la jeune racisée la réconforte et l'encourage, après un gros blanc de sa part qui aurait pu laisser penser à une toute autre attitude.

La voila donc qui va à la finale, emmené par son amoureux. Elle arrive trop tard. Dans la salle, il n'y a pas les gens pour le concours d'éloquence, mais le professeur raciste en train d'être jugé. Elle fait un discours éloquent, elle y dit la vérité : c'est un raciste mais il l'a aidé. On ne connaîtra pas le résultat, mais il court pour la revoir une fois que c'est fini et semble l'apprécier.

Est ce que le professeur Pierre Mazard a fait des progrès hors de ses cours particuliers pour la jeune racisée Neïla Salah ? On n'en sait rien, mais c'est possible. Il se peut bien qu'il soit revenu sur "le droit chemin". Si c'est le cas, je ne suis pas nécessairement contre lui laisser une chance, mais à condition qu'il n'ait pas intérêt à recommencer. Le film ne me semble clairement pas insinuer cela.

À la fin, on la voit avocate. C'était son rêve. C'est cool pour elle (mais c'est un film). La voila qui a pour mission de défendre le stéréotype de quelqu'un des banlieues. Elle lui apprend l'obéissance et à se comporter comment les dominant·e·s le veulent. En soi, c'est probablement une bonne tactique pour qu'il évite d'aller en prison. Mais elle lui apprend bêtement à se conformer, sans remettre en cause des normes sociales sans fondement sain. Elle aurait très bien pu lui apprendre la même chose d'une manière non autoritaire et lui expliquer que c'est idiot mais autant se conformer (temporairement) pour ne pas aller en prison. Bref, utiliser les règles du système pour survivre dedans et pourquoi pas en profiter pour le transformer, mais ça n'est pas le cas dans ce film (en tout cas de mon ressenti), il y a plutôt une injonction à se plier (individuellement) à la domination pour "s'élever".

Je ne pensais pas que j'écrirais autant sur ce film. Au moins, ça explique bien comment je l'ai ressenti. Des morales qui me semblent se dégager implicitement de ce film me répugnent. Il y aussi eu des moments où je me suis embêté. Mais quand j'essaye de faire mon introspection sur ce film, c'est essentiellement certains des messages implicites que j'y ai perçu qui font que j'ai passé une très mauvaise séance, pas pour moi directement, mais pour moi indirectement, puisque ce film me semble propager des idées néfastes dans la société dans laquelle je vis (qui auront certes un impact différent sur l'homme blanc que je suis par rapport à d'autres parties de la population).