Sur le clean up day (2018)

Le 15 septembre 2018 a eu lieu un "clean up day". Quel était le but ? Voyons ce qu'en dit le site web worldcleanupday.fr : Un camion poubelle est déversé chaque minute dans l'océan. Chaque année, en France, 30 milliards de mégots finissent dans la Nature. Le 15 septembre, 150 pays et des millions de citoyens vont coordonner leurs efforts pour une journée mondiale de ramassage des déchets sauvages. Les citoyens, les entreprises, les associations, les écoles, les collectivités se mobilisent pour agir tous ensemble le 15 septembre pour une journée positive et festive. Organisez ou participez à un ramassage près de chez vous, partout en France !

Quelle est l'utilité de cela ? L'utilité officielle est de nettoyer la planète des déchets humains. C'est probablement consciemment pensée comme utile pour cette raison par beaucoup de personnes participantes et spectatrices. En quoi consiste ce "nettoyage" ? Tout mettre dans des poubelles, qui sont dans la très vaste majorité du temps en plastique, puis les mettre dans des lieux adéquats pour les personnes éboueuses. Que vont faire les personnes éboueuses avec ces déchets mis dans un nouveau déchet (le sac bien souvent en plastique) ? Elles vont les exporter (c'est-à-dire les mettre ailleurs), ensuite il y aura un traitement de nettoyage partiel (qui lui même engendrera de la pollution).

L'opération conduit potentiellement à moins de pollution directe que si les déchets (sans compter le contenant) avaient été laissés là où ils étaient. Par simplicité, admettons que ce soit vrai. Il reste alors à se poser la question des effets indirects de ce genre d'opération.

Il est là question de "nettoyage", ce qui sous-entend que produire des déchets est propre tant qu'ils sont à la fin mis dans une poubelle (fut-elle en plastique qui est un dérivé du pétrole). Or c'est faux : la production nécessite de la matière première (dont le stock n'est pas illimité, tout comme le renouvellement, et dont l'extraction peut créer des problèmes) et de l'énergie, puis il y a le transport jusqu'à la ou les personnes consommatrices (et en fait probablement d'autres étant donné par exemple que l'emballage n'est presque jamais produit au même endroit que ce qu'il est amené à contenir et qu'il y a souvent centralisation des marchandises dans des lieux de stockage intermédiaires dans les pays capitalistiquement développés), ensuite emballage dans une poubelle (fort probablement faite avec du plastique), ce qui est suivi par le transport des déchets, enfin il y a l'éventuel traitement. C'est donc très sale. Quand on nettoie le "nettoyage" de l'idée idyllique qu'il sous-entend, on constate la crasse.

Passons maintenant aux êtres humains. Faire ce genre d'actions contribue à se donner bonne conscience, ce qui peut amener à ne pas en faire plus. Or il ne faut pas mettre à la poubelle les déchets, mais il faut ne plus en consommer (ou presque), ce qui n'est pas en phase avec l'idéologie du nettoyage poubelliste (c'est-à-dire l'idée de nettoyer par la mise en poubelle), qui peut amener à exiger encore plus de poubelles pour les remplir avec les déchets qui n'y sont pas encore pour ensuite les exporter et s'éviter ainsi de les assumer (ainsi que plus globabalement les conséquences du mode de vie collectivement "accepté" qui les tolère voire les encourage par sa logique). Si ce n'est qu'une action non relativement significative faite au nom de l'écologie, alors il n'y a probablement point problème, surtout si la consommation de déchets aussi réduite que possible fait parti du quotidien (et pas juste de l'événementiel). Dans le cas contraire, cela aura tendance à conforter l'adhésion à l'ineptie qu'est le "développement durable" (avec "développement" pris ici comme la mesure du PIB avec le mode d'évaluation économique dominant aujourd'hui). À ce sujet, on peut lire le billet de blog de Jean-Marc Jancovici intitulé "A quoi sert le développement durable ?" (qui a été publié la première fois le 1 décembre 2002 et mis à jour pour la dernière fois le 3 mars 2018).

Malheureusement ce genre d'opération ne dit rien des limites et des seuils qu'il vaudrait mieux ne pas dépasser. Il en est bien sûr de même des causes structurelles de la débacle écologiste (qui déterminent les individus et qui font se rapprocher des limites et franchir des seuils). Néanmoins cela peut être une occasion d'évoquer ce genre de sujet et c'est seulement pour ça que ce genre d'opération peut être éventuellement utile, mais mieux vaut ne pas compter sur les médias de masse pour cela. On peut certes directement s'attaquer aux causes structurelles et aux comprtements individuelles, cependant vouloir faire aller trop loin trop vite peut pousser certaines personnes à la cécité volontaire (par braquage à cause de trop de radicalité), tandis que les amadouer avec de l'insignifiant peut permettre d'ensuite amener à penser d'une manière plus globale et conséquente. En terme de matériel, on peut amener des prospectus papiers (de préférence bicolore et avec autorisation explicite de reproduction gratuite sans demander), vantant la réutilisation des emballages, faisant la promotion d'une alimentation plus végétale, incitant à se passer de congélateur et réfrigérateur tout en expliquant comment, promouvant la réparation avec des références sur le sujet, prônant le papier pour s'informer et s'instruire contre les moyens électroniques (comme la télévision et Internet), s'attaquant à la société de consommation, contre les inégalités de pouvoir d'achat (qui incitent à vouloir consommer encore plus comme le fait une classe socio-économique réputée supérieure), remettant en cause la conception dominante de certains mots (comme "croissance" et "progrès"), décrivant la permaculture et des moyens de l'appliquer, distribuant gratuitement des livres et journaux écologistes peu chers aux personnes consentantes qui pourraient être curieuses (mais dont le simple fait de payer aurait malheureusement pu rebuter psychologiquement ou, pire, par pauvreté), énonçant une ou des thèses écologistes d'Ivan Illich, etc.

Appendice

Fétichisme de la manifestation

Suite à certaines manifestations, il y a eu de grands progrès (comme les congés payés en 1936 en France). La pensée réductionniste en conclut que la manifestation en a été la cause. Or bien souvent, la manifestation a plus probablement été le point d'orgue, le moment d'apothéose. Dans cette hypothèse, l'événement n'est qu'un symptôme saillant ou presque, car il a un effet catalyseur, mais sans être l'explication à lui seul. Si on admet cela, il faut reconnaitre ce qui l'englobe : un mouvement plus général.

Un mouvement qui se construit sur la durée et non sur l'événement est moins directement visible, car on a tendance à s'y habituer par petites touches. Cependant il n'empêche pas des événements, au contraire il les favorise et leur donne de la force. En effet, un mouvement a une capacité d'affecter plus diffuse, mais elle est aussi probablement plus efficace sur le long terme (qui est plus dur à percevoir au premier abord).

La réussite relative (car partielle) du mouvement ouvrier est probablement plus dû aux activités quotidiennes des syndicalistes de lutte et de construction d'organisations (en vue d'établir le communisme et l'anarchisme) que des manifestations dans la rue ou sous forme de grèves. Une partie significative de la gauche réformatrice (comme la "France Insoumise") et de gens se prétendant en faveur d'une révolution sociale semble écumer dans le spontanéisme (à ne pas confondre avec l'auto-gestion) ou plutôt l'évenementialisme (par exemple pas organisé au sein d'un parti visant à faire élire certains de ses membres, d'un syndicat de travailleurs/travailleuses, ou d'un autre type de groupe comme Alternative Libertaire ou Réseau Salariat), donc en définitive sombrer dans l'impuissance (comme il est aisé de le constater). Ce "clean up day" semble être dans la même logique ruineuse, qui sous-entend que c'est par la manifestion, ou plus génériquement par l'événement, que le "monde humain" va changer, ou du moins que ce serait la manière la plus efficace d'affecter pour construire un monde écologiquement soutenable.

La Nature et l'Humain

Pour rappel, le site web worldcleanupday.fr énonce que 30 milliards de mégots finissent dans la Nature. Il y a un implicite dans cette phrase avec lequel je ne suis pas d'accord. En effet, il y a une séparation radicale entre le "monde humain" et la Nature. Il y aurait le "monde humain" dans lequel les mégots pourraient rester et la Nature qui serait extérieur à l'Humain (mais que celui-ci souillerait et lui ferait en conséquence perdre son implicite caractère immaculé avant son intervention tout court ou de certaines des interventions de spécimens du genre humain). En d'autres termes, l'Humain se serait construit un empire (le sien) dans un empire ("la Nature"). Or il y a continuité et donc jamais rupture, puisque l'Humain fait parti de la Nature, le dualisme humanité-nature n'a donc pas lieu d'être.

Petite anecdote

Le soir de cet événement, j'ai mangé avec une autre personne. Elle avait (comme toujours ou presque) allumé la télévision. L'événement a été brièvement contée, en plus d'une loi interdisant les objets en plastique à usage unique et du fait qu'une espèce réputée disparue ne l'était plus. Voila des nouvelles positives (et là dessus rien à redire). Sommation (verbale) était donc faite de s'en réjouir. Le message écologiste progressait : ça allait dans la bonne direction. Néanmoins dans le même temps, la dégradation de l'état de la planète (d'un point de vue anthropocentré) continuait d'accélérer, mais le positivisme forcené conduit à ne pas trop aimer que des faits négatifs soient à l'ordre du jour.

Mais au moins l'autre personne avec qui je mangeais se disait sensibilisée et que ça ne devait pas toucher qu'elle. Mon repas de sa part était entre autres du houmous (grosso-modo de la purée de pois chiches) qui n'était pas labellisé "biologique". Celui-ci venait d'un emballage plastique stocké dans un réfrigérateur. Il y a quelques mois, la même personne m'avait aussi donné du houmous comme composante de plusieurs repas. Ces fois-ci elle avait acheté du pois chiche, qui ne nécessite nullement ni de réfrigérateur ni d'emballage en plastique, puis elle avait fait le houmous. Sensibilisation réussie ! (C'était ironique.)