Réflexions sur le végétalisme en lien avec l'avis 2019 de l'Académie Royale de Médecine de Belgique

En mai 2019, l'ARMB (Académie Royale de Médecine de Belgique) a traité du végétalisme. Son avis complet se nomme "Régimes végétariens et végétaliens administrés aux enfants et adolescents". Elle a ensuite publié une mise au point. Cet article fournit quelques éléments de réflexion à ce sujet, sur ce cas précis, mais aussi plus globalement.

L'avis de l'Académie Royale de Médecine de Belgique

Le ton est scientifique et il y a des références qui en ont aussi l'apparence. Pour ce qui est de la conclusion, le communiqué de presse est simple et tranchant : Bruxelles, 14 mai 2019. De plus en plus fréquemment imposé par des parents à leurs nourrissons, le régime végan est à proscrire. C'est l'avis rendu par l'Académie Royale de Médecine de Belgique (ARMB). Ce régime restrictif engendre d'inévitables carences et nécessite un suivi permanent des enfants pour éviter les carences et des retards de croissance souvent irréversibles. C'est le végétalisme qui est pointé comme dangereux, particulier pour certaines catégories, tandis que l'ovo-lacto-végétarisme n'est pas mis en cause.

Sur la paqe "The vegan diet" de la partie "Eat well" de son site web, la NHS (National Health Service) du Royaume-Uni énonce le propos suivant : The only group it's not suitable for is children under the age of 2, as they have different needs. Là cela rejoint l'ARMB, qui d'ailleurs cite cela dans sa mise au point.

Toutefois on peut douter, voire s'étonner, de ces résultats sur le végétalisme. En effet, d'autres études affirment que le végétalisme est viable à tous les ages de la vie et dans toutes les circonstances (enceinte, sportif, etc.). Il faut néanmoins être bien conscient que le risque de carence en divers nutriments est toujours indiqué. De plus, la mise au point donne une explication possible de divergences : En raison des supplémentations systématiques de nombreux aliments aux USA [United States of America], les recommandations US ne semblent donc pas transposables à la population belge francophone à laquelle s'adresse cette recommandation.

Sur DécouvrezLesAliments (un site web fait par "Les diététistes du Canada"), on peut lire que N'importe qui peut suivre un régime végétalien, des enfants aux adultes âgés en passant par les adolescents. Il est même sain pour les femmes enceintes et les mères qui allaitent. dans l'article "Ce que vous devez savoir au sujet des régimes végétaliens" (mis à jour le 1er juin 2015). De même, "Les diététistes du Canada" affirmait en 2014 dans "Lignes directrices sur l'alimentation saine pour le végétaliens" : un régime végétalien sain peut combler tous vos besoins en éléments nutritifs à n'importe quelle étape de la vie, y compris chez les femmes enceintes ou qui allaitent et chez les adultes âgés . En 2005, la British Nutrition Foundation a publié "Vegetarian nutrition" dans les pages 132 à 167 du numéro 30 de son Nutrition Bulletin, on peut y lire : Studies of UK vegetarian and vegan children have revealed that their growth and development are within the normal range. , puis a trend was observed towards lower protein intakes as animal protein intake declined (vegans' protein intakes were 70–75% of the national average protein intake). This trend is reflected among vegetarian and vegan children, but protein intakes still meet requirements and, even in vegan diets, rarely fall below 10% of energy intake et ensuite A study of 20 life-long vegan children (mean age: 9 years) found that growth and development was within the normal range, although the children were all exceptionally lean . En Australie, la NHMRC (National Health and Medical Research Council) a indiqué en 2013 ce qui suit (en anglais) dans son Australian Dietary Guidelines : Appropriately planned vegetarian diets, including total vegetarian or vegan diets, are healthy and nutritionally adequate. Well-planned vegetarian diets are appropriate for individuals during all stages of the lifecycle. "Position of the Academy of Nutrition and Dietetics: Vegetarian Diets" (publié en décembre 2016) contient ce qui suit dans son "Abstract" : It is the position of the Academy of Nutrition and Dietetics that appropriately planned vegetarian, including vegan, diets are healthful, nutritionally adequate, and may provide health benefits for the prevention and treatment of certain diseases. These diets are appropriate for all stages of the life cycle, including pregnancy, lactation, infancy, childhood, adolescence, older adulthood, and for athletes. Plant-based diets are more environmentally sustainable than diets rich in animal products because they use fewer natural resources and are associated with much less environmental damage. Pour avoir encore plus de sources, on peut aller sur le site web vegan-pratique.fr, qui a entre autres une page nommée "Positions médicales et scientifiques".

Il n'y a donc pas un consensus sur la dangerosité du végétalisme pour certaines catégories. Il y a toutefois un clair consensus sur des risques de carence, qui sont tout à fait évitables selon certains et difficilement ou impossiblement selon d'autres. Là où le consensus scientifique est à priori parfait, c'est à propos de la vitamine B12 : il faut impérativement se complémenter d'une manière active chez l'humain (et la spiruline ne le serait pas). Pour les humains, la mesure de précaution la plus simple est d'éviter le végétalisme (et donc aussi le véganisme). Même si on a peur des dangers, on n'est pas obligé de prendre une décision aussi radicale, car on peut être suivi et ainsi détecter des prémisses de problème pour changer d'alimentation ou se complémenter en conséquence avant qu'il n'y ait des dégâts.

La mise au point permet de comprendre un peu mieux et heureusement puisque c'est son but. Les régimes végétaliens nécessitent une information rigoureuse des futurs parents et un suivi précis ainsi que des suppléments adéquats pour éviter autant que faire se peut des carences, des déséquilibres, des problèmes notamment de croissance chez l'enfant. Dans cette phrase, il n'y a pas de condanation, il y a "juste" une sérieuse mise en garde. Plus loin, des résultats d'études sont mis en avant : il y a des carences dans la population des personnes végétaliennes et pas qu'un peu ! Ces études sont probablement valides, mais il faut les situer dans leur contexte, c'est-à-dire dans un monde avec peu d'information sur le végétalisme. Cela ne condamne pas le régime en lui-même, mais la manière de le pratiquer chez nombre de personnes, qui n'ont pas un régime végétalien depuis la naissance pour la plupart et qui vivent dans un monde qui est pensé pour des régimes alimentaires non-végétariens. L'Académie de Médecine a pour mission de prendre en compte la santé de l'ensemble de la population concernée quels que soient ses revenus financiers, son statut socio-économique ou ses capacités à comprendre et à gérer quotidiennement les supplémentations […] tout en diversifiant les types d'aliments. D'après le communiqué de presse, Le but est d'éviter les carences ou de les combler rapidement .

On peut donc émettre la thèse que l'ARMB préfère y allait avec du zèle pour décourager fortement, même si ce serait viable en théorie, car elle peut légitiment penser que l'information adéquate et les précautions manqueront en pratique dans la majorité des cas et que les conséquences peuvent être jugées trop graves pour les humains. C'est là une interprétation, et il faut la prendre comme telle et non comme quelque chose de certain. De plus, mieux vaut lire soit-même les documents, car rien n'indique à priori que ce n'est pas une construction éronnée (volontaire ou involontaire).

Des réponses pro-végétalisme

Pour les personnes qui seraient curieuses d'avoir une réponse directe à l'ARMB qui défendrait le végétalisme, certaines personnes ont spécifiquement répondu à cet avis. Comme pour l'avis de l'ARMB, il faut les prendre avec précaution, car volontairement ou involontairement il peut y être soutenu des choses fausses. Comme réponses, on peut par exemple citer :

Sanctionner les parents qui imposeraient le végétalisme à leurs enfants ?

Si c'est dangereux pour les enfants, ne faudrait t'il pas punir les parents qui mettent leurs rejetons en danger ? Certains journaux ont en tiré cette conclusion et ce parfois directement dans le titre de l'article. On peut par exemple citer : "La Belgique pourrait bientôt sanctionner les parents qui imposent le véganisme à leurs enfants" de SlateFr (par Barthélemy Dont, 19 mai 2019) et "Belgique : vers une sanction des parents qui imposent le végétalisme à leurs enfants ?" de Top Santé (par Mathilde Ragot, le 20 mai 2019). Pourtant le communiqué de presse écrit implicitement l'inverse : Nous nous positionnons dans l'accompagnement des parents, pas dans le jugement . Rien n'empêcherait cependant à la Belgique d'utiliser cet avis comme pièce à charge pour ériger une loi pour punir les parents imposant le végétalisme à leurs enfants, au moins pour les plus jeunes.

Des jeunes enfants sont décédés suite à la consommation de boissons végétales au lieu de lait !

Certains étaient dans une situation X et Y leur est arrivé, donc X est la cause de Y, et basta pour les cas X sans Y : cela n'a rien de scientifique. Il y a aussi des enfants qui meurent alors qu'ils n'ont que bu du lait de leur mère biologique, ça n'en fait pas quelque chose de dangereux. En l'occurrence, la probable erreur fatale est pourtant facile à deviner : pas de vitamine B12 chez un être avec pas ou peu de réserve, et patatras, par manque d'apport de B12 assimilable par le corps et pas par consommation de ce qui n'en contient pas.

Si l'explication théorique venait à ne pas convaincre, ou que la personne feignait de ne pas comprendre, il est toujours possible d'utiliser un argumentaire mauvais en sens inverse. On pourrait pour cela par exemple mobiliser un article de 20 Minutes publié le 5 mars 2019 qui se nomme "Charente Maritime: Un enfant de 6 ans décède après avoir mangé un steak haché mal cuit". Rendez-vous compte, une simple erreur de mauvaise cuisson et bam un enfant humain de 6 ans (qui a donc largement dépassé le stade de nourrisson) peut en mourir, c'est vraiment que la viande est trop dangereuse et elle devrait donc être interdite au moins pour les enfants par mesure élémentaire de prévention. Bien sûr, ce n'est pas une manière logiquement valable de prôner à minima le pesco-végétarisme, mais ça peut permettre par un exemple de démontrer que ce genre d'argumentaire est ridicule, et ce pour n'importe quel régime alimentaire, et en fait aussi plus généralement.

La qualité des sources

La source truc est militante !

Les citations viennent d'articles d'organismes publics, ça n'a rien de militant. De toute façon, ça aurait été militant, que ça aurait pu être un argument de méfiance, mais cela n'aurait certainement pas été un argument de réfutation en soi.

Si on cherche de l'information pro-végétalisme par des organismes défendant activement le végétalisme, il ne faut pas se tourner vers des organismes d'État. Cela n'a rien d'étonnant, puisque l'on attend pas de l'État qu'il défende fermement une position sur les animaux. On pourrait vouloir qu'il en soit autrement, mais on sait bien que l'on ne trouve pas cela en 2019.

Si toutefois on cherchait des sources fait par des groupes militants pro-végétarisme, on peut proposer quelques pistes. Il y a l'association L214, qui a notamment fait le site web vegan-pratique.fr. En autre association connue, on trouve l'Association Végétarienne de France, qui a d'ailleurs produit des documents sur des catégories que l'ARMB a spécifiquement ciblé ("Une alimentation végétale, de la naissance à 3 ans", "Enfants végétariens", "Une grossesse végétalienne ?").

La source truc est trop vieille !

En science, les choses peuvent rester stable pendant plusieurs années, y compris pendant 10 ans, 20 ans, ou bien plus. C'est en particulier le cas pour les domaines anciens. En effet, la science n'est ni du marketing ni de la pseudo-innovation. La nutrition est typiquement une science pas tout à fait nouvelle. En conséquence, des documents sur la nutrition ayant au plus 20 ans peuvent être toujours valables, au moins en grande partie. En tout cas, une ancienneté de la sorte, pour une science pas toute jeune, n'est pas un argument satisfaisant. En fait, l'argument de l'ancienneté n'est jamais valable, la vieillesse d'un document ne l'invalide, mais cela peut être une raison de se méfier.

On pourrait objecter que le végétalisme ait un phénomène nouveau. Or la production de vitamine B12 en laboratoire pour la consommation humaine date de plusieurs décennies. De ce fait, le végétalisme est pratiqué depuis "longtemps". D'ailleurs la Vegan Society a été fondé en 1944 (par Donald Watson et Elsie Shrigley), toutefois la vitamine B12 n'a été isolée qu'en 1948, ce qui rendait le végétalisme très dangereux à cette époque. Néanmoins, depuis le temps, il y a eu le temps de faire des études en longue période sur le régime alimentaire végétalien qui nutritionnellement se confond avec l'alimentation végane.

Le végétalisme et encore plus le véganisme seraient extrêmes, or la vérité se trouverait dans le "juste milieu"

Le fait qu'une idée diffère significativement de l'idéologie dominante d'une époque ne la rend pas invalide, c'est un argument irrationnel. Avec ce genre d'idiotie (comme la vérité est toujours plus médiane ou la voie raisonnable est le juste milieu), on aurait pu affirmer que la république (même dans sa forme bourgeoise) était impossible et qu'il fallait une monarchie constitutionnelle, qu'il fallait juste donner un demi droit de vote aux femmes, qu'il fallait abolir les coups de fouets pour les esclaves mais qu'il fallait perpétuer l'esclavage, qu'il fallait un contrat de travail mais sous la forme du CDD (Contrat à Durée Déterminée) et certainement pas cette horreur gauchiste qu'est le CDI (Contrat à Durée Indéterminée), etc.

Même si on prend au sérieux ce théorème sans fondement rationnel du "juste milieu", on peut très bien l'utiliser contre l'anti-véganisme. En effet, on peut privilégier les intérêts des animaux non-humains contre les intérêts humains, en allant potentiellement jusqu'à juger louable de tuer des humains (comme Isaac Obermann dans le roman "La guérilla des animaux" de Camille Brunel), ainsi l'extrémité pro-animalisme ne serait pas l'anti-spécisme qui implique le véganisme mais ce serait un spécisme en défaveur de l'humain, ce qui serait une inversion du rapport actuel aux animaux non-humains si l'on juge qu'il est souhaitable d'aller aussi loin. On peut par exemple défendre de privilégier les intérêts des animaux non-humains au vu de que l'humanité leur a fait, dont une chose criante et reconnue est la chute considérable de la biodiversité à cause de l'activité humaine. Un autre argument possible est que les conditions d'exploitation des animaux non-humains ont été particulièrement atroces et bien au-delà du nécessaire pour jouir de son résultat, ce qui est valable même si l'on pense que cette exploitation était nécessaire à la survie d'humains mais que la forme particulière au'elle a revêtu ne l'était pas. En comparaison, nombre de personnes véganes prônent l'anti-spécisme, qui constistent à considérer les intérêts égaux quelque soit l'espèce, ce qui peut être considéré comme un juste milieu. D'ailleurs, Insolente Veggie l'a bien illustré sous forme de bande dessinée dans "Je suis une vegan modérée", dont ce paragraphe imite une bonne part du raisonnement.

Est ce que le véganisme est "extrême" ? Si nous pouvons vivre et prospérer sans exploiter les animaux non-humains, pourquoi ne le ferions nous pas ? Je ne perçois le véganisme comme "extrême" d'aucune façon. Je perçois l'exploitation pour aucune raison morale valable comme extrême de toutes les façons. Gary Francione