Bientôt un changement significatif de la société ? (2019)

Par manque de matériaux et/ou d'énergie, il est vraisemblable que le système actuel prenne un mauvais coup (cf. entre autres "Les limites de la croissance (dans un monde fini)" du Club de Rome, Philippe Bihouix et Pablo Servigne). À système financier similaire, cela engendrera à priori au début à minima une crise financière, puisque rien de significatif n'a été fait depuis la précédente, donc ce sera le "même" bordel (cf. l'économiste Frédéric Lordon qui a écrit entre autres "Jusqu'à quand ? Pour en finir avec les crises financières" en 2008 chez Raisons d'agir et "La crise de trop, reconstruction d'un monde failli" en 2009 chez Fayard). On peut penser que ce sera probablement pire que la dernière fois, au moins à cause des dettes d'État bien plus grandes. En effet, des prévisions de croissance ne sont pas compatibles avec la décroissance, or le système financier capitaliste mise abondamment sur sa croissance, et en fait c'est généralisable à tout le reste de l'économie capitaliste mais avec toutefois une moindre intensité. Là le scénario esquissé se limite à une crise financière, mais un tarissement, voire une rupture, de certains matériaux ou d'énergie pourrait engendrer bien plus.

La finance capitaliste dérégulée n'est déjà pas aimée et une nouvelle crise aggravera sa réputation. Plus globalement, la détestation de ce monde est déjà manifeste, et ça tente de changer à peu près partout au moins en Occident : Nuit Debout et gilets jaunes en France, Occupy Wall Street et élection de Donald Trump (perçu "anti-système" pour éviter Hillary Clinton) aux États-Unis d'Amérique du Nord, occupation de places en Espagne (mouvement "des Indignés" ou "15-M") puis parti politique Podemos, élection d'Aléxis Tsípras du parti Syriza en Grèce (avec certes la triste suite qu'on le connaît), extrêmes-droites qui montent, Brexit, etc. La colère est largement perceptible.

Les médias dominants et plus globalement les institutions dominantes sont en grande partie discrédités pour une large part de la population. Certes on peut juger que c'est parfois avec excès (mais cela n'enlève rien au constat), comme le refus du syndicalisme tout court à la place du refus du syndicalisme dominant qui en France va pour faire vite de la CFDT (Confédération Française Démocratique du Travail) à la CGT (Confédération Générale du Travail) incluse. Une nouvelle crise d'ampleur aggravera le discrédit de certaines institutions, et donc in fine de l'ensemble institutionnel, d'autant plus que ça viendra de lui et pas d'un mouvement révolutionnaire organisé.

On peut illustrer cela avec le cas de la France, qui n'est pas directement transposable, mais qui est une illustration de la faiblesse des mouvements pour une révolution sociale. Le Parti Communiste Français est dans un sale état, il reste encore bien du travail au Pôle de Renaissance Communiste en France. Les partis trotskistes, que sont le Nouveau Parti Anticapitaliste (ancienne Ligue Communiste Révolutionnaire) et Lutte Ouvrière / Union Communiste Trotskyste, font 2% ou au plus 3% aux élections. Le syndicalisme révolutionnaire et l'anarcho-syndicalisme, qu'incarnent les CNT (Confédération Nationale du Travail) et les CSR (Comités Syndicalistes Révolutionnaires) présents notamment à la CGT (Confédération Générale du Travail), sont quasi-inexistants et sont inconnus d'une bonne part de la population. Les autres types de structures avec une volonté révolutionnaire ne sont pas non plus puissantes pour le moment, on peut par exemple citer : l'UCL (Union Communiste Libertaire) issue de la fusion d'AL (Alternative Libertaire) et de la CGA (Coordination des Groupes Anarchistes), l'association Réseau Salariat, et OCML-VP (Organisation Communiste Marxiste-Léniniste - Voie Prolétarienne).

On peut penser que le discrédit aigu et ses causes provoqueront nécessairement un changement d'ampleur, contrairement à la crise de 2007-2009 qui n'aura pas été suffisante mais aura tout de même rouverte des possibilités de pensée. Cela le serait d'autant plus dans mon hypothèse, qui s'avérera peut-être fausse, car le dogme croissantiste se ferait arracher la gueule, or celui-ci traverse toutes les tendances politiques ou presque (comme le fait remarquer le journal La Décroissance de Casseurs de pub). Ça peut aboutir sur du n'importe quoi, dont du fascisme. Ça peut aussi aboutir à du progressisme social. En tout cas, c'est souvent dans ce genre de moments qu'il y a des changements d'ampleur.

On peut citer quelques exemples : révolution française au moment de l'entrée dans le 19ème siècle malgré l'absence d'organisation révolutionnaire pré-existante et pas de volonté de faire une république à l'origine (et Histony / Veni Vidi Sensi / Antoine Resche a fait une intéressante série sur cette révolution), révolution de 1848 en France, révolution russe débutée en 1917 qui a dégénéré en un capitalisme d'État mais que certains appellent "communisme", makhnovisme de 1917 à 1921 en Ukraine, révolution allemande de 1918-1919 qui s'est faite violemment écrasée, fascismes après la grande dépression des années 1930 et avant la seconde guerre mondiale, révolution espagnole commencée en 1936 (avec notamment 2 organisations majeures qu'ont été la Confederación Nacional del Trabajo et le Partido Obrero de Unificación Marxista) mais une mauvaise fin (en l'occurrence le fascisme avec Francisco Franco), programme du CNR (Conseil National de la Résistance) en France après la seconde guerre mondiale (dont le régime général de la Sécurité Sociale chapeautée par Ambroise Croizat), la révolution cubaine ayant eu lieu au début de la seconde moitié du 20ème siècle, "mai 1968" en France (qui va bien au-delà des étudiant·e·s) et Autonomia Operaia qui débute en 1968 en Italie.

Pour ce qui est des imaginaires désirables, il y a tout de même pas mal de choses. En truc "récent", il y a par exemple la permaculture et l'œuvre de Murray Bookchin. Historiquement, il y a la tradition socialiste/communiste/anarchiste. En terme d'exemple actuel, il y a notamment les zapatistes au Chiapas (Mexique) et les kurdes au Rojava. Si on remonte dans l'histoire, il y a aussi des trucs : de la régression sur certains éléments de la révolution française de la fin du 18ème siècle (pas de personne présidente, etc.), la conjuration des Égaux (menée par entre autres Gracchus Babeuf et Sylvain Maréchal), début de la révolution russe (avec les soviets), révolution sociale espagnole qui a tout de même même eu le temps de pas mal expérimenter, sécurité sociale (cf. entre autres l'économiste et sociologue Bernard Friot, ainsi que Nicolas Castel), Commune de Paris en 1871, affaire Lip en France dans les années 1970, etc. Il existe aussi le socialisme utopique, dont William Morris (1834-1896) est une figure, et on peut aussi citer la féministe Flora Tristan (1803-1844), ainsi que les "classiques" : Saint-Simon (1760-1825), Robert Owen (1771-1858), Charles Fourier (1772-1837).

On pourrait bien plus longuement faire une prospective et inviter à se construire des imaginaires d'autres possibles. Toutefois ce texte s'arrête avec ce paragraphe. On espère tout de même qu'il aura intéressé, et on invite à se méfier de la prospective, car le prospectivisme est un exercice ardu qui est bien souvent laminé par l'Histoire.