Petite réflexion sur la nationalité et le nationalisme

Dans mon texte nommé "Vivre sans congélateur et sans réfrigérateur", j'avais évoqué la nationalité et la xénophobie. Étant donné le titre, on pouvait facilement se douter que ce ne serait pas un thème central de celui-ci. J'ai commencé par une version simple qui permettait d'avoir une position radicale et qui avait le bon gout d'être simple à comprendre sans ambiguité : le nationalisme c'est mal. C'est "joli" d'un point de vue gauchiste et c'est très "tendance" dans les milieux anarchistes (dont je me sens proche). Toutefois, d'un point de vue théorique, cela ne me va pas tout à fait.

C'est qu'en effet je ne suis pas farouchement contre la nationalité, et me voilà probablement rangé par certaines personnes au placard des affreux nationalistes ou au moins dans celui des non-anarchistes. Je ne suis absolument pas pour avoir des frontières étroitement surveillées et des procédures drastiques contre l'immigration clandestine. Je ne soutiens très clairement pas "Le Front National" qui a présenté Marine Le Pen aux élections présidentielles de 2017, ainsi que "La République En Marche" et son odieux créateur Emmanuel Macron.

Dans le texte précédemment cité, j'en étais donc venu à exprimer une opinion différente, en faite plus précise mais source de confusion. J'y avais donc rappelé que la ou les conditions d'attribution de la nationalité peuvent être très variables. Je n'évoquais pas les discriminations (racistes, sexistes, etc.) qu'il peut malheureusement y avoir. Mon but était de rappeler que l'on peut envisager myriade de façons différentes d'accorder la nationalité.

Mais qu'est que la nationalité au fait ? Je l'envisage comme la reconnaissance de l'appartenance à une organisation politique dominante d'un peuple et considérée comme légitime par celle-ci, donc donnant droit à des droits politiques. Cela suppose donc l'existence d'une nation et d'une institution dominante à son échelle. Cela est tout à fait compatible avec l'internationalisme, qui suppose précisément l'existence de nations. À contrario, cela est incompatible avec le dépassement concret du concept de nation, que je propose de nommer transnationalisme et qui diffère du dépassement d'une nation ou de plusieurs, par exemple pour en ériger une de plus grande ampleur (comme l'Europe au détriment de la France et compagnie).

L'existence de la nationalité n'empêche nullement que les étrangers aient certains droits politiques. D'ailleurs même nombre de nationalistes xénophobes le reconnaissent au moins implicitement, par exemple en ayant rien contre le tourisme des étrangers "chez eux". La nationalité peut par exemple permettre d'éviter que certaines personnes présentes depuis peu aient le droit d'influencer la zone via par exemple le vote ou un mandat. Cependant on peut rétorquer que par exemple ce même droit de vote pourraient être enlevés si on n'a pas été suffisamment dans la zone depuis un certain temps, et je trouve que c'est tout à fait raisonnable. Cependant enlever la nationalité peut être une idée désastreuse, puisque cela peut créer des sans-patries, ce qui peut leur être problématique s'illes sont confronté·e·s à une puissante institution qui en veut absolument une.

Voulant éviter que ma position soit trop mal comprise, j'ai ajouté un paragraphe sur l'internationalisme dans le texte cité au début. C'est toujours bien de l'évoquer. De plus, je craignais (et c'est toujours le cas dans une moindre mesure) d'être qualifié de xénophobe par mon évocation de la nationalité. Toutefois ça m'avait semblé pertinent (dans le contexte qui était l'allocation des ressources), car comment répartir équitablement une ressource d'une façon socialiste (avec "socialiste" dans un sens totalement différent avec lequel François Hollande fut élu en 2012 président de la France) sans qu'il y ait une reconnaissance que la personne existe et a donc droit à la ressource (et qu'il faut donc envoyer la ressource dans la zone donnée en proportion du nombre de personnes), ce dans une société à beaucoup d'individus (et donc pas par exemple dans le cadre d'un village) et avec une socialisation à grande échelle d'au moins certaines ressources (notamment pour compenser les potentielles fortes disparités de disponibilité et/ou de capacité de production en particulier pour celles socialement jugées indispensables ou presque). On pourrait rétorquer que l'on peut tout produire sur place et qu'il n'y a qu'à s'adater avec ce qu'il y a sur place, mais il faudra faire autrement au moins pendant la phase de transition, puisque la logique capitaliste pousse à la division sociale et territoriale du travail, ce qui mettra probablement du temps à inverser (s'il y a la volonté) car il parait peu probable qu'une décroissance aussi forte advienne en son sein sans qu'il soit tué avant (d'autant plus si on prend l'état du système productif en 2019 qui n'a jamais été à ce point international). De plus, l'institution dominante de la société peut revêtir de multiples formes : État capitaliste, État socialiste, confédération syndicale de travailleurs/travailleuses (comme la Confederación Nacional del Trabajo qui a d'ailleurs "national" dans son nom et reconnait donc cette espace comme espace de souveraineté potentiellement légitime sans que j'ignore l'alliance avec la Federación Anarquista Ibérica, qui me va très bien), confédération de communes (comme c'est le cas dans le municipalisme libertaire qu'a promu entre autres Murray Bookchin), etc. Au passage, j'en profite pour préciser que je qualifierais volontier "l'institution dominante de la société" d'"État général", tout en précisant que je n'ai pas lu le livre "Imperium" (publié en 2015 aux éditions La Fabrique) de Frédéric Lordon (qui est un intellectuel, spinoziste et marxiste, m'ayant beaucoup influencé) au moment d'écrire ces lignes (c'est-à-dire en 2019). J'en profite pour signaler qu'il s'est exprimé sur le sujet du national d'une manière brêve à la fin de l'article nommé "La gauche ne peut pas mourir" (publié dans le numéro de septembre 2014 du journal "Le Monde diplomatique" en pages 1, 18 et 19) et en quelques pages dans la dernière partie de l'avant-propos (nommée "Souveraineté, nations : la gauche entre tétanie et désertion") de son livre "La malfaçon" (publié en 2014 aux éditions Les Liens qui Libèrent puis en 2015 chez Babel).

Pour ce qui est du présent texte, il vise à clarifier plus abondamment ma position, et ainsi tenter d'éviter les mauvaises compréhensions qui auraient pu subsister, tout en n'ayant pas grand doute qu'il en restera. Il vous reste peut-être au moins une question : comme je positionne vis-à-vis de l'anarchisme ? Je suis pour l'anarcho-communisme et je pense qu'il ne pourra être qu'institutionnel s'il y a une vie sociale peu proche du néant ou de l'occasionnel. Je suis donc en faveur de l'anarcho-syndicalisme et de l'anarcho-municipalisme. Pour autant, je ne suis pas un farouche opposant de l'État "non général" : je pense que c'est compatible avec le communisme (c'est-à-dire la démocratie "complète" qui comprend nécessairement l'économie dans un sens qui va au-delà de l'économie monétaire). Néanmoins je pense que ce serait mieux sans, c'est-à-dire avec un autre type d'institution, qui soit autant que possible auto-gestionnaire (et donc avec des mandats impératifs). Par facilité pour se détacher entre autres du capitalisme d'État de Joseph Staline que certains qualifie de communisme (alors que je le qualifierais plutôt de capitalisme d'État), et par mon adhésion à pousser l'émancipation sociale ainsi que l'auto-gestion égalitaire couplé à l'entraide aussi loin que possible, je me revendique parfois de l'anarcho-communisme. Cependant étant donné ma vision incompatible avec "l'anarchisme pur" ou "l'anarchisme authentique" (comme certaines personnes pourrait qualifier leur conception de l'anarchisme), je renacle à me qualifier d'anarchiste, et je préfère d'autre qualificatifs comme "communiste écologiste auto-gestionnaire" et "syndicaliste auto-gestionnaire et révolutionnaire".