La bénédiction de la moindre accessibilité de l'énergie
Le titre est provocateur ? Pour les personnes en faveur de la décroissance matérielle, ou en tout cas nombre d'entre elles, il ne l'est fort probablement pas. En revanche, pour la très vaste majorité de la droite, provocateur il l'est clairement, si ce n'est plus. Mais on aurait tord de regarder que de ce côté là, à gauche aussi il peut être mal perçu, même très mal. Et il est vrai pas tout à fait tord, mais au final bien à tord, et c'est avec cette angle que l'on va continuer.
Pourquoi voir comme mauvais la moindre accessibilité de l'énergie ? Poser la question ainsi est malhonnête, mais on répondra d'abord à celle-là. L'énergie est ce qui permet de mettre en mouvement, donc de faire des choses, d'être en un certain sens puissant, et notamment se délivrer pour partie au moins de contraintes précédemment dites naturelles, qui nous étaient imposées et qui nous attristaient. Avec une puissance énergétique suffisante et par combinaison avec la science théorique et la technique opérationnelle, bien des limites ont volé en éclat, notre maitrise apparente a été décuplée, ce qui nous rassure et on ne veut pas lâcher. Ça permet de dorloter nos corps et de nous sentir souverains. Le techno-productivisme, ça n'est peut-être pas beau à réaliser, mais ses fruits on les adore et on en est accros.
Qu'une partie de la gauche, héritière du productivisme, soit resté là-dedans est incontestable. Mais il est fort peu probable qu'on la voit contester pour ça, du moins qu'elle revendique protester pour ça. Et il y a une bonne raison à cela, ainsi qu'une mauvaise, mais encore une fois on annonce pour traiter plus tard. En cette année 2021, dire qu'il y a moindre accessibilité de l'énergie est vrai et en même temps bien réducteur. Il y a moindre accessibilité de l'énergie, mais par un mécanisme spécifique, celui des prix. Si tout le monde avait à peu près les mêmes revenus, la gauche ne pourrait invoquer qu'un désir prométhéen. Mais les inégalités économiques sont colossales.
Il s'ensuit que la gauche peut légitimement protester. La moindre accessibilité de l'énergie est différenciée selon les capacités économiques. Et la différenciation est en défaveur des moins dotés. Moins vous avez de revenus monétaires, plus l'augmentation des prix fait mal. Bien sûr, en valeur absolue, l'augmentation est la même pour tous et toutes. En revanche, elle ne l'est nullement en proportion du budget. Il est tout à fait vrai que c'est un problème, et pas des moindres. Mais que faire ? C'est là que nous allons enfin exprimé notre différent profond avec une partie de la gauche, mais pas non plus de suite… (quel étonnement !)
Une partie de la gauche, comme la très vaste majorité de la droite, perçoit un problème : la baisse du pouvoir d'achat. Elle a bien lieu, mais devrait t'on considérer que c'est un problème ? Quand l'horizon est la consommation, c'en est nécessairement un. Remarquons qu'une bonne partie du discours pro-capitaliste mise sur ça comme argument justificateur. Mais est-ce que la consommation fait le bonheur ? à fortiori dans les pays capitalistiquement avancés qui ont matériellement tellement ? Controns de suite un argument qui ne manquera pas de poindre : nous parlons à l'échelle de la société et non des individus pris dans des contraintes sociales.
Mais nous ne nous aventurons pas sur de la philosophie pour savoir ce qui fait le bonheur et ce qui va contre. On se contentera de beaucoup plus basique : une croissance infinie dans un monde fini est impossible. Ensuite, après cette constatation élémentaire, on dira : nos modes de vie (dans les pays capitalistes avancés) excédent de très loin les capacités d'absorption de la planète et de la majorité de ses écosystèmes pour que ça ne change pas significativement l'écosystème d'une manière défavorable à l'humain. On continuera par ceci : on a déjà trop pollué, on n'a pas le temps d'attendre pour polluer significativement moins, et on n'a pas de solution technologique miracle (en capacité de résoudre le problème et d'être mis en oeuvre massivement dès maintenant). Conclusion : au moins dans un premier temps, notre consommation matérielle doit décroitre.
Que l'accessibilité à l'énergie soit réduite en est un moyen. Qu'il faille ne pas le faire socialement n'importe comment, c'est une évidence, et le mouvement des gilets jaunes a rendu cela très clairement incontestable. Mais une partie de la gauche n'a enregistré que ça. Elle en vient donc à proposer de maintenir un haut niveau d'accessibilité à l'énergie, avec la rhétorique consumériste du pouvoir d'achat. En cela, elle se croit être l'ami des plus démunis. En vérité, elle est leur ennemi, pour 2 raisons liées.
La première est une évidence : les conséquences des dégâts écologiques seront avant tout subies par les moins dotés. Ne pas faire d'écologie ou retarder encore et encore, c'est une décision terrible pour celleux ayant le moins. Le désagrément de la moindre consommation est bien inférieur aux conséquences du maintien de la consommation et encore plus de son augmentation. Soutenir le pouvoir d'achat dans ce contexte, c'est reculer pour mieux sauter. Psychiquement et stratégiquement c'est aussi promouvoir quelque chose qui est voué à s'effondrer.
Pour ne rien arranger, se concentrer sur le pouvoir d'achat est aussi une terrible démission. La variable d'ajustement est le fétiche capitaliste de l'accroissement indéfini de la marchandisation et de l'accumulation matérielle sans autre but que le profit. Pendant qu'on parle de pouvoir d'achat, on ne parle pas d'autre chose. On ne parle notamment pas d'un truc oublié : les rapports sociaux, vous connaissez ? Une grande partie de la gauche a oublié ce combat ou le met bien secondairement à la consommation. Pourtant c'est de là que découle l'inégalité de répartition des ressources et (pour partie) la folle marche en avant de la dilapidation des ressources et la pollution à gogo.
Cette moindre accessibilité de l'énergie, quoi que socialement mal faite, est donc, d'une certaine manière, une bénédiction. S'orienter vers une société moins consommatrice est d'une importance cardinale, et la rationalisation technique couplée à la mutualisation ne suffiront pas à anéantir l'impératif de décroissance matérielle, elles ne feront que l'amortir et c'est déjà pas mal. Ensuite, elle nous fait voir les fossiles de la gauche, cramponnés au pouvoir d'achat et insensibles ou très peu à l'écologie, nous indiquant par là qu'ils sont obsolètes et même à combattre au vue des conséquences de la non-action écologique. Enfin, par contraste, ça nous fait voir la partie de la gauche capable de mêler les 2 enjeux ensemble : l'inégalité à faire régresser et à terme annihiler, en terme d'accès aux ressources, mais surtout de ce qui lui précède et est cardinal dans les existences : les rapports sociaux ; et l'écologie, à commencer dès maintenant par de la décroissance matérielle (et donc pour partie de la décroissance énergétique).
Ok, mais concrètement que faire là avec une augmentation du prix de certaines énergies ? Nous ne ferons que donner quelques pistes (qui impliquent un rapport de force, mais pour le coup pas de changer les rapports sociaux). Tout d'abord, on peut interdire de la consommation de luxe, ce qui fera baisser la demande et donc baisser les prix à offre constante (du moins si la baisse est suffisamment significative vis-à-vis de l'échelle de l'offre). On peut immédiatement penser à l'interdiction des vols intérieurs et de la téléphonie 5G (puis de la 4G), ainsi que la très vaste majorité des usages des emballages à usage unique ou très limité (qu'ils soient en plastique ou pas n'y change rien, car la gestion coûte à la collectivité, tandis les produire et les traiter nécessitent de l'énergie). Ensuite on peut interdire certaines consommations considérées comme classiques en période d'abondance et/ou en freiner la charge énergétique. Par exemple, on peut entre autres : infliger une punition très sévère pour le sabotage ou l'inaccessibilité des produits alimentaires non-vendus, et de même mais moins fortement pour les autres produits ; instaurer une obligation forte de financement des infrastructures de transport menant au(x) lieu(x) de travail pour celles mutualistes et non-aériennes (train, tram, bus, bateau) et celles pour le déplacement doux sans moteur (marche à pied, vélo, etc.) ; pour les trajets où il y a du transport en commun régulier, borner au minimum à -10 km/h ou -20 km/h les autres moyens de transport ; interdire aux entreprises lucratives ou associatives et aux employeurs (para-)étatiques de chauffer plus qu'à un certain nombre de degrés et les obliger à rembourser des achats d'habits chauds ; réduire progressivement et universellement la vitesse maximale que peut fournir un FAI (fournisseur d'accès à Internet) ; proscrire aux acteurs commerciaux de la vidéo d'aller au-dessus d'une certaine qualité (par exemple 720p puis 480p). Évidemment il nous faut avoir des objets plus durables (donc moins coûteux et consommateurs de ressources sur la durée), ce que l'on peut réglementairement obtenir par l'augmentation de la durée de garantie minimum légale ou son instauration pour de nombreux équipements, et dans le même élan on peut imposer la fourniture des plans pour faciliter la réparation. On peut aussi prendre des mesures plutôt symboliques mais pas inutiles, tels que l'arrêt de tous les programmes spatiaux et la suppression intégrale des courses automobiles. On peut également s'attaquer à la propriété pour éviter la sur-production inutile, notamment par réquisition sans compensation des batiments inutilisés un quart de l'année ou plus (pour reprendre avec malice la terminologie capitaliste, on parlera de "fluidification du marché immobilier"). Puisque plus on a de revenu, plus on a tendance à consommer et à polluer, et que l'inégalité économique est un problème en soi, on pourrait fortement taxer les gros patrimoines (et pourquoi pas même aller plus loin : s'en prendre à la racine du problème, à savoir l'affectation primaire des revenus qui est inégalitaire et pas qu'un peu). Enfin, pour rendre compétitivement possible la généralisation de productions respectant des normes sociales et environnementales haussées et amoindrir pour partie les latitudes stratégiques des capitalistes (donc pour partie leur capacité à imposer une certaine répartition, évidemment en leur faveur sur au moins le court terme, de ce qui est considéré comme richesse), du protectionnisme économique est nécessaire (car on n'attendra pas l'improbable synchronicité mondiale) et en conséquence il faut rompre avec ce qui s'y oppose (comme l'"Union Européenne", union capitaliste de fer et non union des peuples comme elle est fantasmée ou comme il est parfois pensé qu'elle puisse devenir). C'est là des pistes réformistes, mais applicables dans une perspective révolutionnaire, et le sujet n'est pas ici de discuter de stratégie pour vaincre les obstacles à la mise en oeuvre, donc on se quittera avec le présent texte là-dessus.