Éléments de critique de la critique de Friot par le journal Révolution
La section française de ce qui se nomme
la Tendance Marxiste Internationale (TMI)
édite un journal se nommant Révolution.
Dans celui-ci a été publié un article nommé
"Critique marxiste des idées de Bernard Friot",
par Jérôme Métellus et daté du 20 février 2021.
Ce serait
la transcription partielle d'un exposé oral
dont l'intégralité est disponible
sur notre chaîne YouTube : Révolution TMI
.
Au passage, on peut faire remarquer que cela consiste à encourager en discours à la révolution sociale en promouvant une plateforme ordinatique géante du Capital, YouTube étant la plateforme vidéo de Google, qui est une des plus grosses firmes de l'époque. De plus, ce service pseudo-gratuit vit du traquage de ses personnes consultatrices (pour vendre de la publicité ciblée), qui sont donc fichées pour entre autres leurs idées politiques et qu'elles sont incitées à se mettre en danger par cette invitation (car la masse de données accumulées pourrait être utilisée par l'État bourgeois ou Google pour défendre le système capitaliste, potentiellement jusqu'à ultérieurement arrêter les personnes identifiées comme dangereuses). Pourtant il est possible de diffuser une vidéo alternativement, par exemple par BitTorrent ou PeerTube. Enfin c'est le moyen écolgiquement le pire pour diffuser de l'information qui est là tranquillement encouragé, tandis que le texte (écologiquement bien supérieure) est reléguée en seconde zone avec une version partielle de l'exposé. Nous prendrons le contre-pied, en nous contentant de la forme texte et nous basant exclusivement sur la transcription partielle proposée.
Venons-en maintenant au sujet du présent texte. Il nous parait que la critique du journal dit Révolution n'a pas compris certains aspects de la pensée de Bernard Friot et en fait donc une mauvaise critique, tout en étant également parfois critiquable sur ces vues non-friotistes. Nous proposons donc une critique à la critique. Elle fait des contre-critiques qui suivent l'ordre de l'article. S'il l'article venait à ne plus être disponible, il nous parait que notre critique de la critique resterait pertinent à lire, car il expose des argumentaires friotistes qui nous semblent tout à fait compréhensibles sans pouvoir consulter l'article critiqué.
Salaire à vie et communisme
- À la majorité politique, tout un chacun aurait le niveau 1 de qualification économique. Il se trouve qu'elle s'obtient à 18 ans dans la France du début du 21ème siècle, mais Bernard Friot n'est pas rigidement pour ça ne change pas, même s'il n'est à priori pas pour autant militant pour que ça change. Pour ce qui est du salaire lié à ce niveau de qualification, Bernard Friot propose 1500 euros net par mois, mais c'est là une proposition et pas une montant gravé dans le marbre.
- Le nombre d'échelons de qualification et la correspondance de revenu seront à démocratiquement définir. Qu'il y ait 4 échelons et des salaires de 1500 euros à 6000 euros n'est qu'une proposition pour lancer le débat.
- Contrairement à une approche marxiste classique, Bernard Friot ne pense pas le changement en 2 phases, le socialisme avec État et ensuite le communisme sans. Chez lui, socialisme et communisme se confondent. et ces termes sont à comprendre dans un sens littéral, et non pas dans la conception marxiste classique en 2 phases (dictature du prolétariat avec le socialisme, puis dépérissement de l'État et passage au communisme).
-
Sa conception du communisme est néanmoins tiré du marxisme.
En effet, il reprend à son compte là-dessus une idée de
L'idéologie allemande.
C'est la suivante :
Pour nous, le communisme n'est pas un état de choses qu'il convient d'établir, un idéal auquel la réalité devra se conformer. Nous appelons communisme le mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses. Les conditions de ce mouvement résultent des données préalables telles qu'elles existent actuellement.
Il lui semble donc qu'il faut épier dans l'histoire ce mouvement réel, contre un romantisme révolutionnaire (qualifié communément, dans le marxisme, de socialisme utopique) ou une théologie révolutionnaire (comme on peut juger que c'est devenu le cas pour certains éléments de la pensée de Karl Marx). C'est à partir de ça qu'il juge que des éléments progressistes dans le capitalisme sont des embryons de communisme, qu'il faudrait évidemment pousser plus loin. - De par sa conception non-utopique et plus laxiste que certains de ce qu'est le communisme ou de ce qu'il pourrait être, ce n'est pas pour lui un système idéal, qui en aurait nécessairement fini avec les contradictions et les classes sociales. C'est pour ça que, dans cette conception du communisme, il peut encore y avoir des écarts de revenu significatifs, mais néanmoins bornés, et à 4 dans sa proposition de lancement de débat. Un autre motif de la disparité des salaires est lui non-métaphysique ou non-définitionnel, c'est que c'est un levier pour orienter la production, en récompensant plus fortement (par voie monétaire, via l'élévation de la qualification) les personnes ayant une activité productive correspondante à ce qui est socialement décidée à un moment, par exemple ça peut être ce qui est dur de produire ou de convenablement produire (de par les compétences requises, l'épuisement du corps que ça implique, etc.) et/ou ce qui serait pertinent de produire tout court ou de produire selon un ou des critères (comme produire de la bouffe d'une manière bio). C'est un mécanisme non-autoritaire d'orientation de la production.
- Dans le cadre de la proposition friotiste, il est vrai que les plus jeunes auront moins que les gens plus agés. Néanmoins on peut juger abusif d'écrire que, de par cela, les jeunes seraient pauvres. Cette inconvénient pour les plus jeunes est justifié partiellement par leur moindre aptitude à produire, car ils ont moins d'expérience. Mais ce n'est pas le seul motif de justification. Bernard Friot ne propose pas un modèle moralement bon ou parfait, mais tâche d'entrevoir ce qui pourrait être poussé plus loin dans une perspective progressiste et en même temps être politiquement acceptable. De fait, il y a déjà, dans le capitalisme, des écarts de salaire entre les gammes d'âges, et ce en faveur des personnes plus âgées. Est-ce la priorité de changer cela ? À niveau constant des forces productives, comment faire accepter une baisse pour les prolétaires aisés mais pas non plus fortunés et sans risquer que ça ne focalise le débat au lieu de choses bien plus importants (à tout hasard éradiquer la propriété lucrative) ?
-
Bernard Friot est critique de la technique
et reconnait la finitude des ressources
(et de la capacité de l'environnement
à encaisser de la pollution).
Il pense que l'humain continuera à évoluer
avec des contraintes matérielles
et qu'il faudra donc gérer la rareté.
Exprimé autrement, il juge irréaliste
que ce soit un jour possible
de généraliser la prise libre sur le tas.
Bernard Friot serait peut-être prêt à reprendre à son compte
ce qu'en a exprimé Frédéric Lordon (le 11 aout 2020,
sur son blog hébergé par le journal Le Monde diplomatique)
dans sa perspective d'un communisme luxueux
(
Il est extrêmement étrange, en fait même absurde, qu'on trouve le mot « communisme » embarqué dans le Fully Automated Luxury Communism de Aaron Bastani, sorte de prophétie technologiste à base d'imprimantes 3-D, de photovoltaïque partout, et de conquête spatiale, promettant la résolution des crises climatique, énergétique, et « l'abondance » pour tous — soit à peu de choses près le prospectus de l'imaginaire capitaliste à peine rectifié. Or, non. Le nombre des objets dont nous vivrons entourés, leurs taux de renouvellement, baisseront — ils le doivent. L'idée d'un communisme luxueux consiste alors en la réfutation de ce que cette réduction signifierait un enlaidissement de notre vie matérielle — car nous en aurons encore une. Et plus précisément : c'est la visée du maximum d'embellissement du minimum d'objets que nous conserverons.
), auquel on peut adjoindre des propos de Daniel Bensaïd pour avoir une caution marxiste-léniniste (Dans la mesure où elle intègre de nouvelles connaissances scientifiques, prend en compte de nouvelles temporalités sociales, introduit une problématique des seuils et des limites, l'écologie critique ne peut se permettre de recourir au joker commode de l'abondance, qui permettrait de ne pas avoir à arbitrer et à choisir sous prétexte que tout, demain sans doute, après-demain au plus tard, deviendrait possible et compatible. Ce serait la fin de la politique. Si tant est qu'elles puissent être transgressées un jour, les limites restent pour longtemps encore notre lot.
, et en guise de conclusion :En attendant [et peut-être à jamais], toute politique reste un art des limites.
; Critique de l'écologie politique, dans Le Sourire du spectre : nouvel esprit du communisme, éditions Michalon, 2000 ; L'écologie n'est pas soluble dans la marchandise, Contretemps n°4, mai 2002 ; Fragments radiophoniques, éditions du Croquant, 2020). Bernard Friot ne croit donc pas en la possibilité d'une abondance qui abolirait l'intérêt d'une répartition. En revanche, son projet est compatible avec une abondance frugale. De plus, Bernard Friot souhaite que les choses changent dès maintenant et sans attendre un éventuel événement futur (développement ultérieur des forces productives, baisse mortelle du taux de profit, etc.) On peut rajouter que le mot communisme sert pour lui à désigner une société future potentielle, qui serait non-capitaliste, et pas un projet figé composé de quelques idées très générales. -
Il est fondé de penser que
cette inégalité donnera un pouvoir enviable
aux instances ayant la haute main dessus.
Dans le système de Bernard Friot,
c'est les jurys de qualification.
Toutefois notons que ce n'est pas
une idée géniale de Bernard Friot,
ça existe déjà dans la société capitaliste
dans laquelle il s'inscrit.
Il propose "juste" de les généraliser,
de les pousser plus loin,
et que des intérêts non-corporatistes
aient un pouvoir dessus
(en limitant les possibilités
des jurys des branches d'activités,
pour que ça corresponde
aux décisions générales d'orientation,
par exemple ça pourrait être
de ne pas permettre ou fortement limiter
la progression des salarié·e·s voulant continuer
à s'inscrire dans une production
que l'on voudrait socialement faire régresser
et ce pour quoi on ne se serait pas doté
de mesures législatives ou pas exclusivement).
Mais, pour en revenir à la critique,
il y a effectivement le risque
de bureaucratisme et de corruption,
qui est toutefois jugulable
(avec des mandats courts, tournants, révocables,
pas localistes ou pas que,
du tirage au sort, etc.).
Dans une bien moindre mesure,
le baccalauréat pose déjà le problème,
mais il n'y a pas pour autant de la corruption massive
et il peut malheureusement y avoir de fortes disparités
en fonction des personnes correctrices.
De plus, le socialisme par la dictature du prolétariat,
qui est prôné par l'organe publiant l'article,
ne pose t'il lui pas aussi le risque
de bureaucratisme et de corruption
et ne s'est-il même pas déjà concrètement matérialisé
avec la révolution russe au 20ème siècle ?
Il peut être tout à fait pertinent de critiquer,
mais on ne trouvera malheureusement probablement pas
une solution parfaite,
à part peut-être dans une société imaginaire
qui se base sur un grand optimisme
(exemple :
La possibilité même de pouvoirs d'achat inégaux aura perdu toute base matérielle.
),sous prétexte que tout, demain sans doute, après-demain au plus tard, deviendrait possible et compatible
, soit unjoker commode
(Daniel Bensaïd).
Généralisation de la cotisation sociale
-
Bernard Friot ne propose pas 2 systèmes de caisse,
les caisses de salaire et les caisses d'investissement.
Il en propose 3 : salaire, investissement, gratuité.
De plus, il y a bien des caisses pour chaque type
et non une caisse géante pour chaque.
Chaque système de caisse est en effet
décomposé en plusieurs échelons géographiques,
ayant chacun un certain degré de liberté.
Il serait en effet stupide que
ce soit la caisse nationale
qui octroie l'investissement nécessaire
pour la boulangerie du coin.
En revanche, il ne faut pas non plus
qu'il n'y ait que des caisses locales
(avec "locale" ayant à être saisi de la même manière
que "locale" dans "union locale" dans le syndicalisme).
Certains projets sont locaux,
d'autres départements ou régionaux, ou encore nationaux,
dont il y des caisses de différentes tailles.
Mais elles ne sont pas purement indépendantes,
pour qu'elle soit pour une part contrainte
partiellement par les décisions
du ou des éventuels échelons supérieures
et pour faire de la péréquation.
Dans "Transition dans la transition"
(5 aout 2020, blog hébergé par Le Monde diplomatique),
Frédéric Lordon s'est exprimé là-dessus tel que suit :
Quoi produire — et quoi ne surtout plus produire — c'est la première des questions à se poser, c'est une question politique, et c'est elle qui gouvernera la dynamique des propositions privées. Au reste, l'architecture institutionnelle multiscalaire du système de caisses économiques, qui alloue les subventions (les avances), est par excellence l'outil du guidage de l'investissement, donc des orientations à faire prendre à la division du travail — ceux de ses secteurs à fermer, ceux à promouvoir, les innovations à accueillir, celles à rejeter. Logiquement c'est l'étage supérieur du système de caisses économiques qui, au niveau national, déciderait des orientations les plus structurantes, les échelons régionaux puis locaux donnant à ces orientations leurs expressions opérationnelles et, pour le reste, effectuant à leurs propres niveaux leurs sélections autonomes des initiatives à soutenir.
-
Les caisses captent une grosse partie de la valeur ajoutée.
Néanmoins elles ne captent pas tout.
Il reste une part d'auto-financement,
y compris pour l'investissement
(
On peut imaginer que, par exemple, 15% de la valeur ajoutée de chaque entreprise seront affectés à l'autofinancement de projets décidés dans l'entreprise par les salariés
, L'enjeu du salaire, 6. Salaire universel et souveraineté populaire, La maitrise populaire de l'investissement et de la création monétaire). La part de l'auto-financement qui ne sert pas à l'investissement (car une partie peut tout à fait y servir) sert à acheter les produits intermédiaires, renouveler les moyens de production, etc. Une entreprise peut ne pas être en mesure de payer, donc une entreprise peut tout à fait faire faillite, cependant la ou les éventuelles personnes salarié·e·s ne perdent nullement leurs salaires, car le salaire serait attaché à la personne et non plus au poste de travail, mais la faillite peut être un motif contre l'élévation de la qualification et donc du salaire associé. - Comme l'article le relève, la généralisation du système de cotisation sociale tuerait la propriété lucrative des entreprises. En revanche, il fait l'erreur de la confondre avec la propriété privée, qui elle ne disparait pas nécessairement, tout d'abord car elles ne concernent pas que les moyens de productions et parce que des moyens de production peuvent être individuels. Pour ce qui est de la propriété hors des moyens de production, on peut par exemple penser à plein de petites choses (vêtements, ustensiles de cuisine, livres, etc.) et aussi à des grosses (logement, voiture et moto, etc.). Pour ce qui est du cas spécifique du logement, Bernard Friot serait pour s'y attaquer, sans qu'il semble néanmoins avoir de plan là-dessus.
- De plus, la généralisation du système de cotisation sociale, en tuant la propriété lucrative des moyens de production, mettrait fin à la classe bourgeoise. C'est anti-capitaliste, mais c'est aussi anti-féodalisme. L'anti-capitalisme n'exprime par lui-même qu'un pur pas de capitalisme. Comment alors nommer une société qui aurait réalisé ce que propose Bernard Friot ? Puisqu'il y en aurait une gestion en commun de la production, ne serait-ce pas qualifiable de communisme ? Et dans le cas contraire, comme ce serait conceptuellement qualifiable en toute généralité (donc en éliminant la possibilité de "friotiste", qui serait indirect et personnifié) ?
-
Pour ce qui est des banques privées,
il est erroné de penser que
les caisses d'investissement les feront disparaitre.
La raison en est fort simple :
les banques privées ne font pas que de l'investissement,
elles font aussi du dépôt
et opèrent les transactions réalisés avec celui-ci.
Les caisses d'investissement ne font donc disparaitre
qu'un compartiment des banques privées.
Cependant, comme l'a énoncé Frédéric Lordon,
les dépôts, les épargnes et des possibilités minimales de crédit doivent être considérés comme des biens publics vitaux pour la société marchande
(Pour un système socialisé du crédit, 5 janvier 2009 sur son blog du Diplo et dans La crise de trop chez Fayard en 2009). Il s'ensuit qu'il ne faut pas les confier à des entités privées mal avisées, ce que contre quoi ne va pas Bernard Friot. Cependant, n'en reste pas moins pour autant, que les caisses d'investissement ne résolvent pas ça et qu'on reste bien dans une société marchande avec l'organisation économique proposée par Bernard Friot.
Château de cartes
-
L'économie prônée par Bernard Friot
reste monétaire et est une économie de marché.
Il ne s'en cache pas.
D'ailleurs, selon lui, les gens (bien intentionnés)
qui espère trouver
la sortie [du capitalisme] dans l'abolition du salariat ou la fin du travail et de la monnaie
errent
(page 21 du livre "L'enjeu du salaire", publié aux éditions La Dispute en 2012). Il trouve même que cela a de bons aspects. La monnaie est par exemple perçue comme une forme institutionnelle de violence (là-dessus Frédéric Lordon suggère le livre La violence de la monnaie, par Michel Aglietta et André Orléan, paru chez PUF en 1982) et cette violence est facilement perceptible, donc plus facile à discuter et par ricochet à en changer l'orientation (cf. Dénonciation de la monnaie ou définition salariale de la valeur ?, L'enjeu du salaire, 2012, p. 175-176), que des formes moins formelles de violence, qui risquent bien d'être amplifiées et/ou apparaitre par la petite porte si l'on supprime la monnaie en pensant par là avoir résolu le ou les problèmes principaux qui étaient plus ou moins apparents avec elle. En ce qui concerne l'économie de marché, elle permet d'envoyer aux oubliettes ce qui ne correspond pas à une demande et ce d'une façon décentralisée (contre le risque bureaucratique). Et on aura bien compris que le système proposé par Bernard Friot ne lui donne pas autant d'extension que dans le pseudo-libéralisme, ce grâce aux caisses de socialisation. Pour quelques courtes réflexions sur l'économie de marché et penchant pour, on peut renvoyer au chapitre 6 "La démocratie économique participative" du livre "Démocratie contre capitalisme" par Thomas Coutrot et publié en 2005 aux éditions La Dispute, dont on prévient toutefois qu'on a bien remarqué qu'il n'était pas révolutionnaire. -
Est-ce que c'est parfait ?
Assurément ça ne l'est pas.
Mais ce qui importe le plus est
de supprimer la peur matérielle,
ce qui est fait par le salaire à vie,
qui est entre autres choses
une garantie économique générale
(pour reprendre la formulation partielle
qu'a employé Frédéric Lordon
et qui est en revanche là pertinente
pour ce sous-aspect pris exclusivement).
De plus, c'est déjà existant,
donc c'est ainsi bien plus simple pour la transition,
autant concrètement qu'à imaginer.
Et en connaitre les limites
est une bonne propriété.
On peut rajouter qu'on peut bien
critiquer autant qu'on veut,
mais qu'une insuffisance progressiste
sera toujours socialement mille fois
qu'une critique pure sans contre-proposition
(comme on peut le reprocher par exemple,
du moins de ce que j'en sais, à
la Wertkritik ou Wert-abspaltungskritik,
ou respectivement critique de la valeur
et critique de la valeur-dissociation).
Certes le socialisme par l'État
et la dictature du prolétariat
(qu'il faut comprendre adéquatement :
Les mots n'ont pas aujourd'hui le même sens qu'ils pouvaient avoir sous la plume de Marx. À l'époque, la dictature, dans le vocabulaire des Lumières, s'opposait à la tyrannie ; elle évoquait une vénérable institution romaine : un pouvoir d'exception délégué pour un temps limité, et non pas un pouvoir arbitraire illimité.
, Marx débordait son temps et anticipait sur le nôtre, Daniel Bensaïd, 3 janvier 2007) est une proposition concrète (qui est prônée par le journal dit Révolution et par Jérôme Métellus qui reprend dans l'article l'idée de la phase transitoire du socialisme avant l'éclosion du communisme), mais on peut aussi lui trouver bien des défauts, dont le risque de bureaucratisme et de corruption qui est redouté par l'auteur de l'article pour les caisses d'investissement. -
La proposition de Bernard Friot
se veut être un prolongement du déjà là
(comme c'est très explicite avec la section
"Généraliser un déjà-là émancipateur"
du chapitre 1
"Le salaire, du pouvoir d'achat au pouvoir économique"
du livre "L'enjeu du salaire",
publié aux éditions La Dispute en 2012,
et dont la fin du chapitre est très claire :
Suppression du marché du travail et de la mesure par le temps de travail, attribution à tous [et toutes] d'une qualification et d'un salaire à vie ; suppression du crédit et de la propriété lucrative par une cotisation économique et une création monétaire articulée à la qualification : le salaire fonde ces possibles parce qu'il les pratique déjà à grande échelle [(on retrouve là implicitement sa prétention à l'analyse du mouvement réel)] et avec une remarquable efficacité.
). Il ne prétend pas que ça se passera exactement comme ça. L'Histoire ne sera pas un processus parfait vers la société qu'il propose, si tant est que ce projet soit porté (d'une manière plus ou moins consciente, et d'une façon totale ou juste partielle, comme ça a été le cas selon lui au 20ème siècle). Mais il pense qu'il serait possible de tendanciellement (continuer de) tendre vers les grandes lignes qu'il a indiqué et qu'il pense avoir dégagé du mouvement réel ayant eu lieu du 19ème siècle jusqu'au 20ème siècle compris (et qu'un humain du 19ème siècle, comme Marx, n'aurait évidemment pas pu analyser, ou insuffisamment étant donné les changements majeurs ayant eu lieu dans le siècle d'après, dont le statut légal du producteur et les conventions collectives de branche d'activité, avec notamment l'advenu de la qualification, mais aussi la centralisation de l'investissement via la cotisation avec le régime général de la Sécurité Sociale qui était à l'origine gérée par les syndicats prolétariens et non par l'État, ainsi que les droits syndicaux). - Chaque personne a son salaire, qu'il soit ou non dans une ou plusieurs entreprises. Est donc nul le risque qu'une entreprise force l'allongement du temps de travail ou pousse à l'augmentation épuisante et/ou écologiquement désastreuse de la productivité.
-
Le projet de Bernard Friot est attaqué comme utopiste.
Pourtant Bernard Friot se base,
ou plutôt tâche de se baser et se revendique se baser,
sur le mouvement réel, celui constatable,
qui aurait déjà commencé à marginaliser le capitalisme.
En revanche, l'auteur du journal Révolution
se base lui bel et bien sur
un système utopique, au sens d'une construction artificielle, arbitraire
pour présenter ce que ce serait le communisme. De plus, au sein de sa vision du communisme, il suppose qu'il serait matériellement possible d'atteindre un jour l'abondance matérielle (Le communisme, tel que Marx le concevait et tel que nous le concevons toujours, c'est une société d'abondance, une société dans laquelle le très haut niveau de développement des forces productives permettra à tous les individus de contribuer librement à la richesse sociale – mais aussi de puiser librement dans cette richesse sociale pour leur consommation personnelle. Autrement dit, la consommation individuelle ne sera plus limitée par le fait d'avoir un salaire plus ou moins important. La possibilité même de pouvoirs d'achat inégaux aura perdu toute base matérielle.
), ce qu'il semble pour le moins tout à fait irréaliste, du moins à priori avec l'état de l'art scientifique actuel, mais qui n'est tout de même plus rustique, et qu'il y a quelques petits défis écologiques qu'il faudrait ou qu'il faudra rapidement prendre en compte, or pour l'heure une réduction drastique du parc de machines y semble nécessaire. A-t-il lu des ouvrages non-récents tels que "Les limites de la croissance (dans un monde fini)" (ou "rapport Meadows" par le Club de Rome), et "La décroissance, entropie, écologie, économie" (de Nicholas Georgescu-Roegen) ? Ou, en ouvrages plus récents, "L'Âge des low tech" (par Philippe Bihouix), et "Comment tout peut s'effondrer" (par Pablo Servigne et Raphaël Stevens), ainsi que "Permaculture - Principes et pistes d'action pour un mode de vie soutenable" (par David Holmgren) ? Il nous semble au contraire qu'il s'est enfermé dans une utopie ascientifique du 19ème siècle, bien semblable sur un de ses aspects à[un] prospectus de l'imaginaire capitaliste à peine rectifié
(comme l'a écrit Frédéric Lordon, à propos de Fully Automated Luxury Communism par Aaron Bastani, dans Pour un communisme luxueux, publié le 11 août 2020 sur son blog du Monde diplomatique et en 2021 aux éditions La Fabrique dans Figures du communisme).
La valeur dite communiste par Bernard Friot
- L'auteur de l'article est bien conscient que le patronat mènerait une lutte féroce à un parti défendant le friotisme qui arriverait à s'emparer de l'État et resterait sur sa ligne friotiste. Mais qu'est-ce que Bernard Friot aurait prévu pour faire face victorieusement à la réaction ? Il n'y aurait rien de précis. Pourtant il suffit de penser en friotiste. Qu'est-ce qui dans le passé a réussi obtenir des avancés sociales et économiques majeures ? Ça a été en bonne partie le syndicalisme prolétarien/salarial de lutte, à travers ses moyens d'actions bien connues (dont notamment la grève). Cependant, puisqu'il n'y a jamais eu de grève générale collectivisatrice victorieuse (la révolution sociale espagnole du début du second tiers du 20ème siècle, dans laquelle la CNT était un acteur absolument majeur, a échoué, et le fascisme s'est installé avec Francisco Franco), il a historiquement bien fallu en passer par l'État, avec une ou des personnes conjoncturellement bien placées en son sein et pouvant utiliser à bonne escient les conditions exceptionnelles que le mouvement déterminé des masses a produit. L'exemple typique et fétiche de Bernard Friot est Ambroise Croisat, ayant été ministre du travail et membre du PCF (Parti Communiste Français), qui aurait joué un rôle clé dans l'établissement en France du régime général de la Sécurité Sociale, permis notamment par la puissante CGT de l'époque et avec nombre de ses membres actifs pour que le projet arrive à se réaliser. À la fin de la vidéo faite sur lui par Usul (du 29 septembre 2015, dans le cadre de sa série "Mes chers contemporains"), on peut d'ailleurs l'entendre dire qu'il se revendique de la tradition cgto-communiste (malgré qu'il soit anti-stalinien et ne soit même pas un partisan de Lénine). On peut rajouter que Bernard Friot s'est exprimé sur le comment à propos de la proposition d'une Sécurité Sociale de l'Alimentation (dont il n'est pas à l'origine, pas plus d'ailleurs que Réseau Salariat). Pour ce projet partiel mais progressiste, il a proposé de jouer sur une division du camp bourgeois, car n'est pas un camp uniforme sur tout, bien qu'il y ait très clairement des intérêts forts partagés par l'ensemble de ses membres. En effet, les capitalistes financiers et industriels ont, par exemple, pour une part des intérêts antagonistes. Au vue du niveau d'endettement énorme, y compris du privé, il a proposé de faire campagne pour l'illégitimité de la dette privée (et pas juste de celle publique), ce à quoi les capitalistes strictement industriels ont très clairement intérêt et pas du tout les capitalistes strictement financiers. Et il ne s'agirait pas pour autant d'alléger les capitalistes industriels, mais que l'augmentation de la cotisation (nécessaire pour alimenter les caisses de la Sécurité Sociale de l'Alimentation) leur soit indolore, hormis évidemment pour ceux du secteur de l'alimentation qu'il s'agit de marginaliser dans un premier temps et à terme d'éradiquer. Bernard Friot n'est donc pas sans quelques idées pour faire face à l'offensive prévisible de l'adversaire.
-
On a ensuite droit à un court exposé correct
de la pensée de Bernard Friot :
Selon lui, le communisme a déjà commencé à se développer à l'intérieur du capitalisme, et même à côté du capitalisme et en concurrence directe avec lui. Il suffirait donc de poursuivre ce développement, graduellement, jusqu'à ce qu'on parvienne, un jour, à la socialisation intégrale de la valeur ajoutée des entreprises.
Cela est suivi par de la pleurnicherie :Friot n'est pas pressé
. Il cite ensuite un passage du livre "Un désir de communisme" :La bourgeoisie a mis plusieurs siècles pour en finir avec l'aristocratie. N'espérons pas mettre beaucoup moins pour en finir avec la bourgeoisie…
Pourtant cette citation explique, d'une façon qui se veut précisément scientifique, contre ce qu'il perçoit comme utopique, à savoir un changement social qui serait brutal, autant qualitativement (rien de moins qu'un changement de mode de production au sens marxiste) que temporellement (comme révolution française ou la prise du palais d'hiver), sans pour autant qu'il pense impossible une accélération historique du processus (au contraire même, c'est pour lui clairement le cas avec le régime général de la Sécurité Sociale instauré en France après la seconde guerre planétaire). Le biologiste qui expliquerait que, selon les observations qui ont pu être faites, le fruit va vraisemblablement encore mettre du temps à murrir, manque t'il d'empressement et est-il un salaud qui voudrait que les gens crèvent de faim ? ou se contente t'il d'exposer ce que l'état de l'art à sa disposition lui semble pouvoir prédire ? Sans contre-argumentaire scientifique dont on pouvait s'attendre qu'il en avait déjà connaissance, il serait ridicule de penser qu'il n'est pas pressé. Pourtant c'est bien là ce type d'argument à la con qui nous est sorti, alors même qu'il y a connaissance du motif de Bernard Friot de penser ce qu'il pense et que ce n'est pas contredit. Heureusement que Jérôme Métellus a insisté qu'il serait lui bien scientifique et marxiste, contrairement à cet utopiste de Bernard Friot. - On n'est néanmoins d'accord que plusieurs siècles ça fait bien long et que la crise climatique n'attendra pas. On en profite pour rappeler que le changement climatique défavorable à l'humain et de nombreux animaux non-humains n'est qu'un des problèmes écologiques, bien qu'il occupe à raison une place particulière, de par sa qualité et sa planétarité. Mais est-ce que cet élément biosphérique va magiquement faire changer les processus de changements sociaux ? On peut toutefois arguer que ça pourrait bien accélérer et avec une force historiquement jamais vue. Malgré cette défense de la position de Bernard Friot, ou à minima une explication personnelle de celle-ci, il nous parait fondé que Bernard Friot sous-estime l'écologie et ses conséquences futures. Au cours du 21ème siècle, il nous semble vraisemblable que le capitalisme va mourir, ou qu'il doive profondément muter pour survivre et ce d'une manière inédite, car en décroissant nous pensons que la persévérance de l'accumulation matérielle sera (de gré ou de force) stoppée et qu'il faudrait donc une autre base pour sa viabilité économique (si tant est que ce soit possible, quoi qu'en fait le "bio" et "l'éthique" démontrent déjà en pratique qu'on peut produire significativement plus de valeur économique avec un moindre usage de ressources matérielles dans le capitalisme) ou qu'il faudrait en avoir une approche plus radicale (comme le revendique le courant de la Wertkritik ou Wert-abspaltungskritik, ou respectivement critique de la valeur et critique de la valeur-dissociation, dont au moins une partie se plait à délivrer des certificats d'anti-capitalisme tronqué).
- La suite de la section expose rapidement, que, selon Bernard Friot, il y aurait déjà une autre pratique de la valeur économique, une valeur que l'on pourrait qualifier de communiste. Puis est exprimé que ce serait de la foutaise. Est notamment fait la critique que la valeur communiste est arbitrairement décrété existée selon Bernard Friot. Bernard Friot est très clair que la valeur économique n'a aucun fondement essentialiste et qu'elle est un produit social pur. La valeur capitaliste est donc, dans sa théorie, tout aussi arbitraire, et le fait qu'elle soit largement reconnu ne change rien à cela. On peut là-dessus entre autres renvoyer au premier entretien "Changement dans le salaire" dans "Émanciper le travail" (avec Patrick Zech, éditions La Dispute, 2014) au chapitre 2 "Qu'est-ce que travailler ?" de "L'enjeu du salaire" (éditions La Dispute, 2012). Pour compléter, venir à la chose par une autre voie, on peut se tourner vers le spinoziste Frédéric Lordon, pour son livre "La Condition anarchique - Affects et institutions de la valeur" (éditions du Seuil, 2018 ; éditions Points, 2020), et plus spécifiquement sa 3ème partie intitulée "La valeur économique, pas moins creuse que les autres".
La théorie marxiste de la valeur
- Est tout d'abord expliqué la théorie marxiste de la valeur. Le titre est clairement en accord ! Plus sérieusement, en ne reconnaissant comme ayant une valeur économique que ce qui met en valeur du capital, et en restreignant la valeur économique à exclusivement la valeur d'échange monétaire, Bernard Friot rétorquerait là que c'est une naturalisation de la pratique capitaliste de la valeur économique. La valeur économique ne serait pas anhistorique, mais elle serait sociale, autant pour la quantité de valeur économique attribuée à une chose que pour ce qui est ou pas considéré comme ayant une valeur économique.
- Dans le cadre marxiste de la valeur et celui des capitalistes, les cotisations se retrouvent être des ponctions. Au sein de ce prisme, et vis-à-vis de la valeur économique, une personne fonctionnaire ne produit pas, au contraire elle dépense, ce qui n'empêche pas pour autant que son travail soit utile, car il produit bel et bien de la valeur d'usage. La sphère marchande est alors la condition de possibilité de la création de la valeur. Bernard Friot prétend lui réfuter cela, car ce serait une naturalisation d'une manière historique d'envisager la chose.
Réformes et révolution
-
Ce qui serait des erreurs théoriques de Bernard Friot,
le conduirait à de mauvaises conséquences pratiques.
Pour commencer lui est reproché
d'être contre la baisse du temps de travail.
En fait, il veut en finir avec
la mesure de la valeur par le temps de travail
(comme c'est écrit tel quel à la fin du premier chapitre du livre "L'enjeu du salaire"). On pourrait donc clore ce point en affirmant que le reproche est à côté de la plaque. Néanmoins Bernard Friot a effectivement au-delà de ça un avis sur le temps de travail et ce n'est pas un chantre de sa réduction. Il considère que le travail peut être épanouissant, qu'il faut donc l'émanciper (c'est d'ailleurs le titre d'un de ses livres) et non en chercher la réduction ou la fin (cf. "Mise en cause du travail ou reconnaissance du travail émancipé déjà là ?" dans le chapitre 8 de "L'enjeu du salaire" de 2012). - On se perd après avec des mensonges pour le moins loufoques (et évidemment ce n'est pas plus sourcé que le reste). Bernard Friot est un grand partisan de la baisse de l'âge du départ à la retraite, mais il considère toutefois qu'il n'y a pas à cantonner les retraité·e·s au travail domestique et au travail non-lucratif (cf. "Le travail, enjeu des retraites", éditions La Dispute, 2019). Comme ça a pourtant été écrit dans l'article, Bernard Friot s'est positionné pour un salaire minimum à 1500 euros net, mais il serait contre augmenter les salaires ! Les pensionnaires étant aussi des salarié·e·s dans sa manière d'appréhender les choses, ils auront nécessairement le même minima, ce qui serait une claire augmentation pour une partie d'entre elleux. Enfin, pour ce qui est des minima sociaux, à quoi bon les conserver si chaque personne ayant la majorité a déjà au moins 1500 euros par mois ?
-
On en revient ensuite à la valeur économique.
Effectivement Bernard Friot pense
qu'il faut changer de pratique de la valeur économique.
Il n'est pas en soi contre un changement de la répartition,
mais ça ne permet pas selon lui
de se diriger vers la fin du capitalisme.
Dans ce prisme de pensée,
lutter pour ça est du temps perdu
pour la cause révolutionnaire
et ne serait pas
une réponse à la hauteur de l'entreprise [contre-]réformatrice
(L'enjeu du salaire, chapitre 7, Taxation du capital et réforme fiscale ou affectation au salaire de tout le PIB ?), mais la réalisation d'uniquement une répartition plus avantageuse pour le salariat ne serait pas pour autant du temps perdu tout court, comme l'affirme Jérôme Métellus. En revanche, il est tout à fait vrai que Bernard Friot pense que se battre sur la répartition ne met pas en cause le capitalisme et contribue à légitimer la naturalisation de la valeur économique qu'il considère comme étant le masque du pouvoir économique (L'enjeu du salaire, chapitre 2). - Il est toutefois véridique que la répartition est une vue plus accessible dans une société n'ayant pas grand espoir révolutionnaire. Du coup, au sein de ces sociétés historiquement situées, il est indéniable que la lutte des classes ne peut commencer à se développer que comme une banale lutte pour la répartition. Néanmoins, selon Bernard Friot, un embryon de valeur communiste serait déjà apparu, donc (si on considère cela comme valide) la lutte des classes ne se développe pas nécessairement que sur cette base, bien que cela puisse ne pas être pensé par les personnes actrices de cette lutte.
- En ce qui concerne des réformes, nécessairement intermédiaires par rapport à une société débarrassée du capitalisme, Bernard Friot et Réseau Salariat en proposent (meilleures statuts salariaux pour pouvoir plus résister à la direction et ses sbires, baisse de l'âge de départ à la retraite, qualification de tous les postes et CDI pour tou·te·s contre les contrats précaires et "l'auto-entreprenariat", suppression de la myriade des régimes spéciaux de Sécu au profit d'un système unique-universel, reprise du contrôle de la Sécurité Sociale par les travailleurs et travailleuses, salaire étudiant sur lequel Aurélien Casta a écrit, Sécurité Sociale de l'Alimentation, etc.). Celles-ci visent à marginaliser ce qu'il considère comme étant des institutions capitalistes et ce au profit de ce qu'il identifie comme étant des institutions révolutionnaires qu'il qualifie de salariales.
-
Pour ce qui est du pouvoir,
que Jérôme Métellus évoque de nouveau
sous un prisme qui nous semble sentir le léninisme,
ré-exprimons que ça ne se fait pas pour Bernard Friot
par la prise de l'État
(comme le palais d'hiver de la révolution russe)
et le renversement brutal du mode de production antérieur.
Bernard Friot se fait reprocher de rejeter
tout ce qui n'entre pas dans le cadre de son programme rigide
. Il est vrai que Bernard Friot accorde une grande confiance dans ses thèses et on peut le trouver rigide de par le balaiement qu'il fait d'autres thèses. Mais n'est-ce pas tout autant applicable à Jérôme Métellus qui lui fait ce reproche ?
Du capitalisme au communisme
-
Mais au moins Bernard Friot
défend l'idée du communisme, non ?
Il avait déjà été énoncé que non.
On fera donc nous aussi la répétition.
Pourquoi ?
Parce qu'
une société dans laquelle une partie de la population gagne quatre fois plus qu'une autre n'est pas une société communiste.
Ah, ce cher Jérôme, il y tient àtout ce qui n'entre pas dans le cadre de son programme rigide
, avec le communisme qui ne peut être qu'une société d'abondance, une société dans laquelle le très haut niveau de développement des forces productives permettra à tous les individus de contribuer librement à la richesse sociale – mais aussi de puiser librement dans cette richesse sociale pour leur consommation personnelle. Autrement dit, la consommation individuelle ne sera plus limitée par le fait d'avoir un salaire plus ou moins important. La possibilité même de pouvoirs d'achat inégaux aura perdu toute base matérielle.
Ce n'est pas du toutun idéal auquel la réalité devra se conformer
et tellement plus flexible quele mouvement réel qui abolit l'état actuel des choses
(L'idéologie allemande, Karl Marx et Friedrich Engels, 1845-1846 / 1932). -
On va maintenant de nouveau se faire perroquet,
cette fois sur la planification.
Jérôme Métellus nous dit qu'
il n'y a pas de planification de l'économie
dans le système présenté par Bernard Friot. Que font donc les caisses d'investissement ? Certes on pourrait rétorquer qu'elles ne font pas une planification, que la planification qu'elles feraient ne seraient que partielle (autant sur les objets de ses subventions que la répartition zonale), qu'elles auraient un pouvoir d'aiguillonnage et pas un contrôle total. Mais, avec l'auteur et contre lui, ne peut-on pas percevoir cela comme une bonne propriété contrele bureaucratisme et la corruption
? En vérité, il n'y a pas que celles-ci qui font de la planification, partielles certes, tous les types de caisses le font. Les caisses des salaires définissent des règles pour l'élévation en qualification (y a t'il des branches ou sous-branches non-éligibles et/ou des métiers et/ou des zones géographiques ? est-ce qu'une ou plusieurs des segmentations possibles va plus vite ou plus lentement qu'une ou plusieurs autres ? et si oui, dans quelle mesure alors ? que faut-il valoriser ? le temps de travail ? la productivité ? la "qualité" ? la formation de nouvelles personnes par apprentissage pratique ? le travail avec des handicapé·e·s ? la force de proposition pour la transition écologique ? le travail manuel ou intellectuel ou on s'en fiche ? l'interdisciplinarité ? etc.). Enfin, pour ce qui est des caisses de gratuité, on les fait faire ou subventionner quoi et dans quelles proportions ? La concurrence n'empêche nullement tout ça. De plus, elle peut être restreinte avec l'extérieure (et pour quelques éléments généraux sur le sujet, qui ne sont nullement particuliers au friotisme et qui n'ont pas été formulés avec en arrière-plan l'idée de l'organisation économique du friotisme accompli, on peut lire "Les conditions externes de la viabilité des récommunes" dans "Projection : L'horizon des récommunes" du livre "La crise de trop - Reconstruction d'un monde failli" écrit par Frédéric Lordon et publié en 2009 par Fayard). -
La conclusion de la critique de Jérôme Métellus
est que Bernard Friot n'a pas compris
le modèle marxiste transitoire en 2 phases,
avec le socialisme et son État ouvrier
puis le communisme sans État,
et que c'est une utopiste
dont la proposition reproduit
la plupart des tares du capitalisme.
Pour ce qui est de la transition en 2 étapes,
Bernard Friot a connaissance de cette thèse,
mais il la juge erronée,
toutefois on pourrait arguer
qu'il ne l'aurait pas bien comprise
et que c'est pour ça qu'il la rejetterait injustement.
Pour ce qui est de l'utopisme,
Jérôme Métellus ne nous en semble pas plus exempt.
Tandis que pour la reproduction de tares,
l'État ouvrier risque bien de reproduire
ceux qui ont suivi la révolution russe d'octobre,
comme l'admet par exemple Andreas Malm
(dans la fin de
La chauve-souris et le capital - Stratégie pour l'urgence chronique, éditions La Fabrique, 2020)
pour qu'il faut (au vue des circonstances écologiques)
se résoudre à
habiter le dilemme
. On peut donc juger que son positionnement ne le met pas trop en situation favorable pour faire aux autres de telles reproches et d'une manière dure telle qu'il le fait. En ce qui nous concerne, quand lui trouve que les idées de Bernard Friot sont une régression par rapport au marxisme, nous pensons qu'une critique bourrée d'erreurs et d'arguments qu'il n'applique pas à ses propres idées, présentées comme de loin supérieures, est une régression par rapport à la prétention scientifique qu'il revendique avec insistance.
Annexe : bibliographie sélective
- L'enjeu du salaire, Bernard Friot, éditions La Dispute, 2012
- La crise de trop - Reconstruction d'un monde failli, Frédéric Lordon, Fayard, 2009
- L'idéologie allemande, Marx et Engels, 1845-1846 / 1932
- Figures du communisme, Frédéric Lordon, La Fabrique, 2021
- Permaculture - Principes et pistes d'action pour un mode de vie soutenable, David Holmgren, éditions Rue de l'échiquier, 2014 et 2017 (poche)
- La décroissance, entropie, écologie, économie, Nicholas Georgescu-Roegen, Sang de la Terre