2023 : le problème est la bureaucratie, malgré le Congrès de la CGT…

Qu'est-ce qui a failli durant le mouvement des retraites ? La base ? Certainement pas. Elle est très déterminée, quoi que très peu organisée, mais dite très déterminée donc incritiquable. Le problème, le véritable problème, est bien connu : il s'agit de la bureaucratie syndicale. Claquemurée et trop molle, elle a failli, et n'a pas été dépassée par la base dite si combative, mais ce n'est là qu'un vulgaire détail, une anecdote, rien de bien sérieux à prendre en compte.

Voila pour ce qui sert d'analyse pour certains, sans nos critiques évidemment. Pour mieux situer, il n'est pas interdit d'en citer quelques uns. L'un d'eux est un intellectuel bien connu d'extrême-gauche, Frédéric Lordon, qui a publié à ce propos sur son blogue (La pompe à phynance) hébergé par le Monde diplomatique. Il y a aussi un parti trotkiste dont Frédéric Lordon est proche, Révolution Permanente, scission du NPA datant formellement de 2021 (et à ne pas confondre avec celle de 2022 entre NPA-B et NPA-C du nom de 2 plateformes de leur congrès). Un de ses membres, Juan Chingo, a même écrit un livre sur le sujet : La victoire était possible : réflexions stratégiques sur la bataille des retraites de 2023, éditions Communard·e·s. Assez proche de ce parti, en tout cas quand il s'agit de la réflexion stratégie portant sur la lutte de classes concrète et à l'échelle nationale, il y a Frustration Magazine, dont le rédacteur en chef est Nicolas Framont. On ne s'étonnera donc pas que, le 4 décembre 2023, un article de Rob Grams y soit publié relayant le livre : Bataille des retraites : une lutte de perdue, dix de retrouvées .

Le problème serait donc la bureaucratie syndidale. Du moins il en serait ainsi selon certains commentateur·e·s, dont ceux que nous venons de citer qui sont incapables de critiquer la base. Pourtant, cette séquence de lutte nationale du prolétariat (pris là dans un sens large et non juste comme synonyme de la classe ouvrière) offre là une infirmation criante. Évidemment, elle n'y est pas discutée, mieux elle n'est même pas mentionnée. C'est pourtant l'éléphant dans la pièce.

En effet, le mouvement de 2023 pour nos retraites a commencé le 19 janvier et a fini le 6 juin. Et au milieu, du 27 mars au 31 mars, a eu lieu un événement fatal pour la thèse de la base irréprochable et du problème de la bureaucratie syndicale : le 53e Congrès de la CGT, la plus puissante confédération syndicale de France.

En effet, si la base est très déterminée et que le problème se situerait au niveau de la bureaucratie syndicale, ce congrès, fait dans le chaud de l'affrontement, était une occasion parfaite pour changer la ligne confédérale et installer un bureau confédéral en adéquation. Il n'en a pourtant rien été. Pourtant, ce sont les syndicats de la CGT qui y votent. Et les syndicats sont composés de la base, du moins de la partie minoritaire qui a au moins fait l'effort de se syndiquer et de verser la cotisation financière. Si la base est merveilleuse, pourquoi est-elle si peu syndiquée (et il y a les CNT si on veut de la posture radicale, mais elles sont très peu investies et n'ont pas connu un boom spectaculaire avec le mouvement de 2023 pour nos retraites) et pourquoi la partie syndicalement encartée à la CGT n'a t'elle pas fait en sorte que les syndicats CGT défendent au Congrès un changement de ligne stratégique et élisent un bureau confédéral en adéquation ?

Autant par la faible syndicalisation, malgré des confédérations à la posture plus combative que la CGT et le cas échéant rien n'interdirait de fonder une nouvelle confédération si la scionniste était jugée stratégiquement pertinente, que par l'expression des syndicats CGT au 53e Congrès de la Confédération, il est net que la base n'est pas du niveau de combativité que lui prête certaines thèses. La base se saisit bien peu des outils syndicaux. La partie syndiquée y contribue peu au-delà de la cotisation financière. Et pour la maigre partie bien active, elle n'a pas fait en sorte d'infléchir significativement la stratégie, malgré que le 53e Congrès se déroulait à un moment particulièrement propice. Enfin, on pourrait encore enfoncer le clou en soulignant la quasi-inexistence de tendances syndicales organisées, qui doivent être des lieux de réflexion et de débat pour définir une orientation syndicale théorique et ce sans pour autant se substituer aux syndicats qui doivent accepter les individus de toutes tendances et n'adhérer à aucune tendance organisée.

Et plus généralement, on ne peut qu'approuver la citation suivante : Nous entendons déjà nos camarades d'extrême et d'ultra- gauche dénoncer, une nouvelle fois, la trahison des sociaux-traîtres et autres bureaucraties. Nous les entendons proposer leur alternative respective : régler la crise de direction grâce à un parti d'avant-garde, ou prôner l'auto-organisation spontanée de notre classe… Ces propositions ont comme effet de victimiser nos camarades de travail, de les déresponsabiliser et donc de les empêcher de tirer un bilan collectif de leurs erreurs. En effet, utiliser le schéma du bureaucrate bouc émissaire nous amène depuis des décennies dans une impasse politique marquée par un repli sur soi d'individus paranoïaques se sentant constamment trahis. (Comités Syndicalistes Révolutionnaires, Pour éviter la défaite de nos je, préparons les victoires de notre nous , mai 2023)