Les errements de Sophie Binet ne sont que le sommet de l'iceberg

Commençons par planter le contexte. Le 53e Congrès de la CGT a eu lieu du 27 mars au 31 mars 2023 (et donc en plein pendant le mouvement contre l'attaque de nos retraites). C'est à cette occasion que Sophie Binet est devenue la secrétaire générale de la Confédération. Précédemment, elle occupait ce poste pour une instance moins importante de la CGT : l'UGICT, qui s'occupe des salarié·e·s des couches d'encadrement. De plus, elle avait été identifiée comme à priori molle, notamment de par le fait qu'elle a été adhérente du Parti anti-Socialiste et ce au moins de 2008 à 2012.

L'arrière-fond est maintenant planté. Passons donc maintenant aux faits, c'est-à-dire à des errements de Sophie Binet dans le cadre de sa fonction de secrétaire générale de la CGT.

Si besoin était, répétons-le : nous considérons que ce sont des errements, pour le moins problématique, de Sophie Binet dans le cadre de son mandat de secrétaire générale de la CGT. Allons maintenant un peu plus loin : oui, Sophie Binet est une bureaucrate ; oui, il y a de la bureaucratie à la CGT. C'est écrit, c'est net, on est d'accord. Mais exprimer ça, de simples faits, ne nous fait pas pour autant aller jusqu'à la conclusion de certains.

En effet, qu'il y ait bureaucratie syndicale n'en fait pas pour autant le problème majeur vis-à-vis de la lutte à mener. Nous allons donc contre l'avis exprimé par entre autres la parti trotskyste Révolution Permanente (issue du NPA, ex-LCR), Nicolas Framont et son Frustration Magazine, ainsi que (peut-être dans une moindre mesure) Frédéric Lordon.

Contrairement à cette bande d'idéalistes, il faut dire que la bureaucratie s'installe plus facilement dans les grands groupements et surtout qu'elle ne vient pas de nulle part. La Confédération Générale du Travail est une organisation démocratique. Ceux qui en ont le contrôle formel sont les syndicats qui y sont affiliés. Et ces derniers sont dirigés par leurs membres, ou plutôt la faible proportion qui s'y implique, avec certes probablement quelques magouilles de bureaucrates mais qu'il ne faut pas exagérer.

Ultiment, le problème de la bureaucratie au sein de la CGT, et donc y compris l'élection de Sophie Binet comme secrétaire général de l'organisation, revient à la base fétichisée par des léninistes et spontanéistes. C'est principalement elle qui a le pouvoir, ou pourrait l'avoir si elle se syndiquait et s'investissait, et qui pourrait donc changer les choses. Mais ça lui va plutôt bien comme ça. Il peut en être ainsi par accord explicite ou par accord implicite par non-participation (à la CGT, à Sud-Solidaires, et aux CNT qui arborent une posture de radicalité).

On peut là renvoyer aux très bons propos qu'ont tenu en mai 2023 les Comités Syndicalistes Révolutionnaires dans Pour éviter la défaite de nos je, préparons les victoires de notre nous  : Nous entendons déjà nos camarades d'extrême et d'ultra- gauche dénoncer, une nouvelle fois, la trahison des sociaux-traîtres et autres bureaucraties. Nous les entendons proposer leur alternative respective : régler la crise de direction grâce à un parti d'avant-garde, ou prôner l'auto-organisation spontanée de notre classe… Ces propositions ont comme effet de victimiser nos camarades de travail, de les déresponsabiliser et donc de les empêcher de tirer un bilan collectif de leurs erreurs. En effet, utiliser le schéma du bureaucrate bouc émissaire nous amène depuis des décennies dans une impasse politique marquée par un repli sur soi d'individus paranoïaques se sentant constamment trahis.

Critiquer la bureaucratie syndicale, ou plus spécifiquement celle au sein de la CGT ou très précisément les errements de Sophie Binet qui en est pour le moment la secrétaire générale, n'est donc pas utile si c'est pour proposer d'éliminer le problème par le schéma idéaliste et donc erroné d'un parti supposé d'avant-garde ou d'un débordement non-organisé qui sera incapable d'avancer d'une manière coordonnée et claire. Remarquons par ailleurs qu'une large part des syndiqué·e·s à la CGT, mais aussi Sud-Solidaires, sont poreux·euses au vote Marine Le Pen (Rassemblement National, anciennement Front National). Et contrairement à la légende de la base merveilleuse, il se pourrait bien que la bureaucratie syndicale soit plus rouge que ne l'est la base syndiquée et encore plus probablement que la base tout court.

Il faut en tirer des leçons. La première serait d'arrêter de focaliser l'attention sur la dénonciation d'errements de la bureaucratie au profit de la compréhension de pourquoi ils adviennent et pourquoi les gens qui les font arrivent à être mandatés. La seconde serait de se syndiquer et, si ce n'est pas déjà fait, d'appeler les autres à faire de même et également (à) s'impliquer syndicalement. Et pour cause, les organisations syndicales sont pour l'essentiel ce qu'en font leurs membres. En bref, passons de la dénonciation et la frustration à l'analyse de nos carences et de comment y remédier et donc aussi forcément à l'action au-delà de la joute communicationnelle et de la grande posture à l'aura idéelle avantageuse.