Confier la gestion des déchets au privé ?
Comme toute chose ou presque,
la gestion des déchets peut être faite
via le privé ou le public.
Le privé lui n'y aurait pas directement intérêt,
mais ces intérêts premiers, à savoir le profit
aussi bien monétaire qu'éventuellement symbolique,
le pousserait à réaliser ce qui est véritablement pertinent
(à savoir ce que que l'on peut nommer la valeur d'usage),
donc pourquoi pas lui confier la gestion ?
D'autant plus que le public a de quoi
paraitre à priori moins efficace,
et n'est-ce d'ailleurs pas tout à fait compréhensible ?
Parmi les explications potentielles, il y pourrait y avoir :
l'absence d'une motivation aussi forte que la compétition,
un supposable moindre esprit d'entreprendre
poussant à l'amélioration
et à éliminer les méthodes devenues archaïques
(d'où l'expression de destruction créatrice
de l'économiste capitaliste Joseph Schumpeter 1883-1950)
ou en tout cas pensées comme telles
au travers d'un certain prisme idéologique
(qu'une science économique peut prétendre objectiver),
et peut-être surtout d'être encombré de politique
(en supposant préalablement que
la forme privée serait apolitique
et conviendrait donc à l'idéal de la neutralité de point de vue
ou au moins qu'elle empêche
la possibilité de la politique en interne
pour le plus grand nombre de par sa structure
et surtout son application car on pourrait sinon rétorquer
que le syndicalisme peut
y introduire de la politique
et être baséiste ou au moins s'en rapprochant).
L'impossible gestion purement individuelle
Les déchets peuvent être gérée d'une manière purement privée, du moins c'est ce qu'on pourrait penser en premier lieu. En effet, je produis des déchets puis je les gère moi-même, et voila, aucune tierce parti n'est nécessaire ! On peut étendre le raisonnement au lieu d'habitation, puis au village ou quartier, et ainsi de suite. Mais il y a un hic, et pas le moindre, cela se base sur un optimisme forcené.
En effet, il est supposé que chacun fasse son devoir. Or il se pourrait qu'au moins un ne le fasse pas. Si on le ou les laisse faire ou plutôt ne pas faire, alors les déchets vont croitre, hormis bien sûr si une gentille âme le fait à la place. Mais sans quelqu'un qui ferait le travail à la place, il ne peut y avoir que croissance des déchets (à part s'ils se bio-dégradent suffisamment vite mais on peut dans ce cas les considérer comme des non-déchets), ce qui n'est pas souhaitable, car ce n'est pas durable.
L'objection la plus triviale est celui de la place. En effet, même si les déchets sont inoffensifs, il faut bien les stocker si on en fait rien et que la bio-dégradation est trop longue, or croissance de ceux-ci implique croissance du stockage si rien n'est fait d'eux si ce n'est cela. Or chacun n'a pas chez lui une place illimitée, il faudra donc bien un moment faire autrement qu'ainsi et puis c'est tout. Il y a la solution de stocker à l'extérieur de chez soi. Cependant cela pourrait ne pas plaire aux autres, ou au moins à une partie d'entre eux, qui pourraient avoir la velléité d'intervenir et finir par passer à l'acte. De plus, l'extérieur n'est pas non plus infini. On pourrait toutefois objecter que l'extérieur est grand. Si la planète ne suffit pas, il y a l'espace ! Effectivement, c'est vrai, mais il faut là prendre en compte le transport des déchets, car il ne va pas se faire tout seul, et c'est encore en supposant que ça ne dérange pas les autres ou que peu et donc qu'une part ne se décide pas à intervenir.
Sauf que là, on a fait la supposition qu'on pouvaient amasser les déchets sans que cela ne gêne ou à la rigueur que ça embête mais uniquement visuellement ou par occupation d'espace. Mais ce n'est pas de chance, il n'en est pas ainsi, à part peut-être dans certaines simulations, mais il ne s'agit pas là de discuter de par exemple la situation dans un jeu vidéo ou dans un laboratoire. En plus de l'espace pris et de l'aspect visuel, les déchets peuvent poser des problèmes : développement de corps pathogènes, aimable don pour l'accroissement d'animaux jugés nuisibles, pollution, radioactivité trop forte, etc.
On peut donc bien se dire
qu'on va gérer les déchets d'une manière purement individuelle.
On peut aussi se dire qu'on va le faire
et commencer à joindre les gestes à la parole.
Mais il suffit d'une personne qui ne joue pas le jeu
pour qu'il soit à un moment nécessaire
d'avoir un minimum une gestion collective,
par exemple pour punir les personnes récalcitrantes.
La société ne peut être faite que d'individualisme adéquat
ou en tout cas elle ne le peut point d'une manière durable,
à part perfection fort peu probable de l'ensemble du groupe
ou dans les contes de fées.
Dans la mesure seulement où
les humains vivent sous la conduite de la Raison,
ils s'accordent toujours nécessairement en nature.
La proposition 35 la partie 4 de l'Éthique
fait une minuscule supposition,
que nous ne ferons pas (sans démontrer pourquoi !),
et que Baruch Spinoza (1632-1677)
n'avait pas non plus l'audace de faire,
bien que ce soit souhaitable et possible que nous y convergions.
La nécessité s'impose donc : le fait institutionnel.
À celles et ceux qui voudraient
un développement plus long et plus profond sur le sujet,
on peut proposer de lire le livre
"Vivre sans ?" (Frédéric Lordon, éditions La Fabrique, 2019).
Délégation de service public
Si gérer correctement les déchets est un enjeu pour le bien de la Cité (prise dans un sens abstrait, métaphorique), alors ça doit être du service public. Mais le public, de par ses tares intrinsèques et donc incorrigibles, est moins efficace que le privé, n'est-ce pas ? En personne raisonnable, confions donc la gestion des déchets au privé.
Faisons une petite interlude pour étudier comment le privé pourrait opérer. Il semble qu'il n'a que 2 grandes solutions. La première est de ne pas faire directement le travail. Pour ce faire, ça doit être la tâche des gens et il doit être permis de les punir s'ils ne font pas ou pas assez bien. La seconde est de faire directement le boulot, mais est-ce que ça ne va pas faire peser une lourde charge sur les épaules du public et ne point faire de différence entre les gens vertueux (qui le feraient d'eux-mêmes) et les salauds et/ou fainéants (dont la bassesse ne sera pas puni et pour qui il n'y aura aucun incitatif à changer, tout en alourdissant injustement la vie des gens biens) ? Et évidemment, un mélange des 2 est possible et, de par son excellence dans l'efficacité, le privé choisira fort probablement la meilleure solution (en puisant parmi les 2 grandes manières et en réglant au mieux les détails). Bien sûr, le meilleur agent privé enclin à la besogne sera sélectionné pour l'opération, et nous l'aurons grâce à la merveilleuse concurrence, mais, pour qu'il ne se relache pas et soit motivé à être le plus efficace possible, on pourrait lui donner une récompense sur résultat. Fermons maintenant cette parenthèse.
La mission sera donc confiée au privé, c'est entendu. Mais c'est la collectivité qui le lui confie. Et collectivité, n'est-ce pas un autre nom pour public ? L'inefficace et l'horreur politique va donner la chose au privé, ou en tout cas elle le devrait assurément, mais n'y a t'il pas le risque qu'il y ait contamination avant que l'efficacité et le rationnel aient enfin à opérer ? Il se pourrait bien que oui, mince alors ! C'est qu'on élimine pas le diable comme ça, argh. Mais bon, c'est le réel, et le privée rayonnera probablement tellement qu'il écrasera les quelques disconvenues au bien commun provoquées par son désagréable commanditaire, ou au moins on peut l'espérer.
Le public va donc déléguer au privé. Mais quoi au juste ? La gestion des déchets, pardi ! Oui, oui, oui, mais plus précisément ? qu'est-ce que l'on entend par "gestion des déchets" ? Le privé ne sait-il de toute façon pas se gérer tout seul ? Se gérer lui, il sait le faire, et très bien même, il n'y a que des mauvaises langues pour rappeler quelques minuscules crises et l'aporie de certains de ne pas les penser, mais, s'il se gère bien lui, ça ne signifie pas pour autant qu'il gère bien ce qu'on lui confie. C'est que dans sa gestion à lui, il pense à lui. Renversant ! En effet, il cherche avant tout sa survie, sa persévérance dans l'être, et avec l'aiguillon de la joie, du profit donc, c'est mieux. Mais ça tombe bien, on ne fait pas dans le mécénat, on lui donne en échange du bon accomplissement d'une mission. Il faut donc la définir et bien. En effet, il faut qu'elle soit forgée de telle sorte qu'elle le conduise à ce que ses intérêts soient alignés à ceux du bien commun, et qu'ainsi ce soit du gagnant-gagnant. Dans le cas contraire, le privé pourrait s'adonner à ses intérêts bornés au détriment de ceux de la masse des gens qu'il est censé servir. Il s'ensuit qu'il faut lui interdire certaines choses et lui promettre des punitions disciplinaires s'il venait à s'égarer. Non point que l'on veuille le punir, on veut juste lui faire peur, à la manière de la possession de l'arme atomique, et ainsi qu'il reste de lui-même dans les clous, simple précaution d'usage, au cas où le Diable l'aurait piqué.
Reste au public quelques petites tâches. Tout d'abord, nous l'avons vu, il doit définir le contrat de la mission. Une fois cela fait, la mise en concurrence peut commencer, et ça aussi ça demande du travail. Il faut en effet l'annoncer de telle sorte que les acteurs privés potentiels soient fort probablement informés, puis recevoir les différentes offres, ensuite les classer par ordre d'intérêt (et pour ce notons qu'il faudra préalablement les définir et que ça demande du travail donc coûte), puis annoncer l'heureux gagnant, le meilleur de tous. Un peu de travail, ok, mais après ça tout est fini ! Enfin le règne du privé, de l'efficacité, du rationnel. Idéalement oui, ça va sans dire, et ça surpasse bien le coût de départ, car le public intégral aurait coûté plus cher de par sa moindre efficacité pendant les opérations, tandis que le privé surpasse le coût initial et est donc au final plus intéressant. Mais, parfois, le privé déraille, ne fait pas tout comme il faudrait. Laissé totalement à lui-même, ses intérêts pourraient malheureusement lui y pousser. Il faut donc vérifié que c'est fait comme ça devrait, ou plutôt en adéquation avec le contrat, d'où l'importance de bien le définir, et des lois plus générales en vigueur. Alors oui, ça coûte un peu, mais c'est fort négligeable encore, grâce à la sur-efficacité du privé par rapport au public, et au moins ça devrait le conduire à être respectueux des conditions auxquelles il s'est engagé. Si, par une improbable malchance, on venait à découvrir qu'il a été salaud, c'est-à-dire qu'il a été trop borné et malpropre pour satisfaire le bien commun, risquant par là d'annihiler son intérêt par rapport au public intégral, alors il faudra le tenir en respect et lui faire payer réparation. Pour ce faire, si on devait en arriver là, on peut lui rappeler gentiment, ça coûte pas cher, mais il pourrait ne plus rester que la force s'il est obtus, et donc le probable passage par l'institution judiciaire, car il risque de contester, et parfois à raison au vue du contrat, mais pas pour autant nécessairement de son objectif public.
Résumons donc ce qui précède. Si le public avait entièrement fait les choses, il n'y aurait qu'une grosse tâche : faire les choses qui ont un intérêt public. Mais, au nom de l'efficacité attribuée au privé, on a voulu en passer par lui. Lui aussi doit faire les choses utiles à la Cité. Mais avant il a fallu consigner par écrit en quoi ça consistait et adéquatement pour que le privé soit tenu de faire ce qu'on veut de lui pour le bien commun et qu'il ne s'adonne pas exagérément à son profit à lui seul, car bien que faisant sa superbe il peut aussi le conduire au pire pour la communauté générale. Une fois cela fait, il a fallu faire connaitre l'offre de marché public. Ensuite chaque acteur privé du domaine a consulté l'offre de délégation de service public et a pris le temps d'y répondre pour ceux intéressés, ce qui coûte (que ça soit une réussite ou un échec) et est donc inclus dans le prix des prestations. Puis il a fallu prendre en compte les différentes offres, du moins dans le cas où il y en a plusieurs, à priori souhaitable car point de concurrence sans et donc point non plus de puissante motivation à faire au mieux. Le résultat a été d'en choisir un, et il faut indiquer lequel publiquement. Enfin les opérations directement pertinentes pour le public peuvent commencer à être effectuées. Mais il reste du boulot à la collectivité : surveiller le bon respect du contrat et faire en sorte que le cap soit tenu si cela s'avérait nécessaire ou carrément changer d'acteur prématurément s'il était jugé qu'il y avait faute(s) trop grave(s), avec éventuellement l'entrée en jeu de l'institution judiciaire si contestation. Ça en fait de la bureaucratie, du sur-travail par rapport au public qui gère tout. Pour que le privé soit plus intéressant, il faut qu'il soit suffisamment sur-efficace comparé au public pour que le coût final global soit supérieur au coût du public seul.
Pitoyable tentative de défense du public que voila ! Si le public fait seul, lui aussi il faut le surveiller ! Et même l'attaquer en justice s'il fait mal les choses. C'est bien vrai, mais ça ne s'ajoute pas. C'est qu'en effet il faut surveiller le public dans tous les cas, qu'il fasse les choses tout seul ou qu'il délègue plus ou moins au privé. Le ou les prestataires sélectionnés peuvent être contestables, le(s) contrat(s) aussi, la surveillance par l'entité communautaire peut être insuffisante ou mal faite, il peut y avoir du laxisme dans l'application de sanctions au privé, et peut-être d'autres choses encore.
De plus, l'entité publique en charge des déchets peut être organisée de telle sorte de réduire la probabilité d'abus et de la gravité liée de chacun, ainsi que le risque de son insuffisance à accomplir ce qu'elle doit. Par exemple, si elle est dirigée en bonne partie par une seule personne, ça fait beaucoup de pouvoir pour celle-ci et donc un risque important de mauvais usage. Plutôt que ça, il serait moins idiot qu'elle soit sous la direction de la section locale d'un parti politicien, par exemple celui du gars seul de l'exemple précédent, si toutefois il en avait un. Mais on peut faire moins problématique encore, et ce en donnant la gestion à plusieurs groupes, dont les appartenances et les avis politiques peuvent tout à fait différés, qui décideront par une procédure collective, le vote majoritaire par exemple, et pourront pour ce faire faire converger leurs avis, via une assemblée par exemple. L'installation d'une personne (individuelle ou morale) dans une position de pouvoir asymétrique et favorable à elle est assurément nuisible, dans tous les cas ou presque, à la communauté qu'elle est censée servir. Contre ce problème, il faut faire tourner l'affectation de ce genre de position. L'idéal étant le mandat impératif, combiné au non-cumul (en même temps et dans le temps), ce qui sont des principes chers et bien fondés de ce que l'on peut nommer l'anarchisme institutionnel. On objectera peut-être et à raison que tout cela a un coût direct bien supérieur à une personne qui déciderait seule de tout, mais ce qui importe est le coût général, en incluant donc les abus. Mais il faudrait aussi notamment prendre en compte l'acceptabilité politique, qui est normalement bien supérieure quand il y a démocratie, rotation et transparence. On devrait sans mal reconnaitre les problèmes quand c'est perçu que ça manque, tant l'Histoire en est truffé d'exemples. Pour celles et ceux dont la naïveté les amèneraient à penser que tout cela est futile, car il suffirait du souverain bien, de l'humain pur et pour ainsi dire naturellement dévoué, on ne peut que recommander de lire le chapitre 1 / l'introduction du TP (Traité Politique) de Baruch Spinoza.
L'efficacité du privé, de quoi et à quel prix ?
Mais soyons sympathiques avec les personnes partisanes de confier au moins la gestion des déchets au privé : supposons effectivement que le privé serait plus efficace, sans la moindre prétention de l'avoir démontré. Voyons maintenant ce que cela implique, et ce en réfléchissant l'apriori de l'efficacité, c'est-à-dire comment elle est évaluée et sur quelle idéologie elle s'appuie.
Gérer les déchets, n'est-ce pas une chose dont il est évident qu'il faille la faire ? Que pourrions nous faire d'autre des déchets ? Il est vrai que c'est raisonnable. Ou plutôt pas tout à fait en fait. Ça ne l'est qu'une fois les déchets produits. Mais s'il n'y a pas de déchet, alors il n'y a pas à les gérer ! Découverte époustouflante, incroyable, la lumière divine est venue à nous. Ce que nous voulons, ou plus adéquatement énoncé ce qui est favorable au bien de la communauté, n'est pas de gérer les déchets, mais d'avoir de l'espace et que ça reste propre. Alors oui une fois produits il ne reste plus qu'à gérer les déchets, mais rien n'interdit en principe de ne pas les faire advenir, ce qui conduit au même résultat d'espace et de propreté.
La production des déchets et leur gestion après usage ne sont pas 2 domaines séparés, ils sont liés. En bref, ça forme un système. Séparer abstraitement les 2 puis opérer les 2 comme des sphères autonomes, c'est se priver de possibilités, notamment réduire le premier pour engendrer de même pour le second. Mais ce sont 2 activités différentes, donc ne pas toujours tout tenir d'un seul même bloc peut permettre d'accéder par la pensée à certaines choses, d'où la pertinence de la séparation. Cependant cette opération ayant sa pertinence dans certains cas ne doit pas faire oublier qu'il y a jointure, liaison réelle et non juste de pensée. C'est pourquoi se borner aux 2 aspects séparés est une erreur. Et il ne suffit pas de faire une juxtaposition pour avoir le tout, l'ensemble, car il est supérieur à la somme des parties, la pensée inverse est du sophisme de composition.
Mais la science ne se spécialiste t'elle pas
tendanciellement de plus en plus ?
et dans ce mouvement ne sépare t'elle pas encore et encore ?
Et pourtant n'est-ce pas la Science ?
Se saisir du tout, puis étudier les parties,
ensuite les parties de celles-ci, et ainsi de suite,
cela peut aider à gagner en compréhension.
Néanmoins la compréhension fine de plein de détails
n'éclaire pas ou que trop peu à elle seule sur le tout.
Il ne faut pas oublier que la séparation est abstraite,
qu'il y a toujours des liens réels,
qu'il vaudrait mieux prendre aussi en compte.
Sans la prise en compte des liens,
on casse la vue sur la réalité
et on ne peut alors qu'en avoir une perception erronée.
La science qui sépare et fait fi des liaisons,
c'est de la science séparatiste,
voire ce n'est en fait même pas de la science.
Et si les institutions légitimées socialement
comme étant scientifiques sont là dedans,
alors ce qui est décrit comme scientifique
pourrait être rejeté et pas nécessairement à tord.
Sur ce sujet, on peut par exemple renvoyer au livre
"L'agriculture naturelle"
de Masanobu Fukuoka
(1913-2008),
tout en prévenant que nous avons toutefois
de très sérieux désaccords avec un certain nombre de choses
développées dans cette ouvrage
(déisme, fétichisme d'une essence naturelle supposée,
mythe du bon sauvage, rejet maladroit de la science, etc.).
Si l'on veut une science pleine,
ça doit être une science des systèmes,
non point comme seuls objets d'études,
mais comme échelle réellement pertinente
pour décrire adéquatement le réel,
ou plutôt ses traits les plus importants,
c'est-à-dire en avoir l'approximation la moins mauvaise.
Ne nous méprenons pas :
étudier les parties n'est pas sans intérêt,
mais il faut ne pas nier implicitement qu'elles sont liées.
De plus, le monde est tellement complexe
quand on regarde loin dans les détails,
qu'il faut rester conscient qu'on n'arrivera pas
à s'en faire une image parfaite, exhaustive,
et qu'en conséquence notre compréhension restera limitée,
donc qu'il peut être plus pertinent d'avoir
une image pas trop mauvaise du global
que d'en avoir une géniale sur une infime partie
et une très mauvaise sur le global.
La science n'a en théorie pas de limite,
mais le cerveau humain en a,
et tout le monde ne peut de toute façon pas
consacrer sa vie à la science.
De ce long charabia, on peut en tirer le principe suivant :
partir des structures d'ensemble pour arriver aux détails
(qui est le 7ème principe dans
la conceptualisation de la permaculture
par David Holmgren).
Mais mettons maintenant fin à ce détour, quoi que pas tout à fait de suite… Et revenons en à l'économie, au système productif humain. Tant qu'on y ait à revenir au sujet initial, parlons même du privé tient ! Le privé produit des déchets d'un bras et avec un autre il va nous les gérer. Chaque activité est faite séparément, pensée séparément, il n'y a pas de coordination directe, chacune est atomisée, les liens sont comme invisibilisés. Si un acteur privé faisait tout, ça serait de l'intégration verticale. Et la séparation n'est-elle pas analogue à celle en "science" ? La séparation et le cassage des liens opérés dans l'un n'a t'il pas accompagné de faire de même dans l'autre ? Est-ce un hasard si Karl Marx (1818-1883), entre autres penseur structuraliste et de la macro-économie (donc ayant une vue système), a montré les contradictions du capitalisme, et qu'il est connu qu'une des méthodes envisagées de son dépassement est la planification, ce qui revient à remplacer plein d'acteurs séparés avec de la décentralisation via le rapport monétaire-marchand par une entité ou plutôt une pyramide d'entités qui organiserait les choses et pourrait donc le faire d'une manière cohérente ?
Cette fois, c'est promis, on revient au sujet de base. Reprenons donc : l'intérêt réel de la gestion des déchets est que ça soit propre et ce n'est qu'un moyen qui n'est rendu nécessaire qu'une fois qu'on a les produits. Si l'on veut satisfaire ce but, il faut s'interroger sur la source du désordre. C'est les déchets. Évidemment avant de l'être, ils ont été autres. Mais puisqu'il faut ensuite les gérer comme déchets, est-ce qu'au final leur utilité passée valait la peine ? Ne serait-il pas mieux, au moins parfois, de ne pas produire ce qui deviendrait déchets et faire autrement pour ce qui est de leur utilité originelle pour ne pas par la suite avoir à les gérer ? Dans le calcul, on peut prendre en compte l'effort humain engagé, mais aussi les ressources utilisées et la pollution engendrée (par la production du futur déchet et sa gestion quand il est devenu déchet).
Prenons un exemple de déchet, l'emballage à usage unique. Prévenons que nous sommes conscients que ce n'est pas un cas générique et qu'on ne peut donc se permettre de généraliser à l'identique pour tous les autres cas. Notre emballage, il faut commencer par le produire. Pour ce faire, il faut obtenir ce qui le composera et acheminer cela dans le lieu de transformation, puis la faire. Tout cela nécessite effort, infrastructure, outillage, énergie. Et ce qui vient d'être listé en a aussi demandé : il faut reproduire la force de travail, les moyens de production (l'infrastructure et l'outillage) s'usent et ne tombent du ciel, tandis que l'énergie ne nous est généralement pas directement accessible et utile, donc il faut souvent à minima l'extraire ou la capter et la transformer. Et, pour l'anecdote, sans que l'on s'en rende compte, même pour un emballage aussi simple qu'un sac en papier, ça a nécessité le concours d'un nombre de gens qui est au-delà de tout calcul possible, comme l'avez montré Adam Smith (1723-1790) avec son exemple de la veste de laine à la fin du chapitre 1 de "La richesse des nations" (1776), et qui a par la suite fait l'objet d'un essai dédié de Leonard Read (1898-1983) nommé "I, Pencil" (en français "Moi, Crayon") et publié pour la première fois en 1958. Mais revenons à notre emballage. Il faut le produire, on l'a dit. Une fois produit, il faut le transporter. Pour cela, il faut évidemment le moyen de transport et l'énergie qui lui est nécessaire. Mais souvent il y a plus que ça qui est utilisé. En effet, entre autres, il ne peut pas forcément se mouvoir sur ce qu'on voudrait ou n'y serait que très peu efficace, donc dans de nombreux cas il faut un passage adapté et celui-ci ne pré-existe pas toujours et peut donc être à créer. Et le transporter, c'est fait une fois dans le meilleur cas, mais au moins deux fois est un cas plus probable, pour l'amener de son lieu de production à son lieu de remplissage puis à son lieu de vente pour la personne consommatrice finale. En fait, un peu de transport encore il y a par la suite, car le lieu de vente ne coïncide que très rarement avec le lieu de consommation, mais on n'accorde sans peine que c'est à priori plus théorique que pertinent pour ce qui nous intéresse là, car le poids du contenant par rapport au contenu est négligeable dans la vaste majorité des cas et la distance est généralement toute petite. Une fois que l'emballage est utilisé et jugé inutile, il est jeté, idéalement dans un lieu approprié à sa récolte. Créer puis maintenir ces réceptacles à déchets, ça coûte. Évidemment il en est de même pour le transport jusqu'au lieu de traitement et pour le traitement lui-même. On va en profiter pour un petit tacle à certains : le traitement dans bien des cas consiste à brûler les déchets, autrement exprimé y foutre littéralement le feu, opération qui ne devrait donc pas horrifier en soi quand elle est faite ailleurs, par exemple en plein centre-ville par des manifestant·e·s.
Comme la longueur du paragraphe précédent l'atteste, il faut un certain nombre de mots pour décrire tous les efforts, ou au moins une grande partie d'entre eux, qui sont nécessaires pour un emballage, qui est pourtant bien loin du déchet radioactif. N'aurait il pas mieux valu utiliser le même emballage autant que possible, autant en terme d'effort que de pollution ? Plutôt que des myriades d'emballages à vocation à usage unique, comme nous en a gratifié la société de consommation (née grosso-modo au début de la seconde moitié du 20ème siècle), ne vaudrait t'il pas mieux repasser massivement aux emballages faits pour durer et réparables, ainsi qu'à la consigne ? Si on pense que c'est ce qui serait efficace pour le but recherché, alors il faut reconnaitre que l'efficacité a traité les déchets n'est qu'une composante de l'efficacité globale, la seule qui nous importe vraiment au final, et peut-être, si ce n'est probablement, la composante la moins importante.
Est-ce que le privé est efficace pour produire du déchet et en faire payer le coût de gestion à la collectivité ? L'expérience historique ne laisse aucun doute. Est-il efficace pour la gestion des déchets ? Peut-être, mais en fait c'est probablement dérisoire par rapport au but réellement voulu. Le privé sera t'il efficace pour produire moins de déchets et en gérer moins ? Il se pourrait que l'on ait comme quelques doutes…
S'il y a moindre consommation de déchets en devenir, il va y en avoir moindre production, donc moins de travail dans cette branche d'activité, et de même pour celle de la gestion des en devenir réalisés. On entend déjà hurler les bourgeois et leurs suppôts : moins de travail, moins d'emplois, plus de chômage ! Ou comment feindre de s'intéresser aux travailleurs et travailleuses quand l'expérience montre bien que leur préoccupation réelle est le profit, et qu'en son nom et surtout sa maximisation on virera d'ailleurs sans problème des travailleurs et travailleuses. Mais est-ce que ça ne sera pas compensé (par des emballages plus chers car plus solides et donc durables, de la réparation de ceux-ci, etc.) ? Ça le sera probablement un peu, mais probablement pas beaucoup plus et ça tomberait grandement bien, puisque le but est d'atteindre l'objectif d'une manière rationnelle, c'est-à-dire avec moins d'effort (donc de travail), mais aussi de ressources et de pollution. Dans cette hypothèse, à priori fondée, on a affaire là à un projet de décroissance.
Tout au contraire le Capital lui raffole de la croissance, accumulé encore et encore, toujours plus. Mieux vaudrait pour lui produire toujours plus de futurs déchets ou au moins qu'il n'y ait que stagnation, et idem pour la gestion post-usage. Et voila comme on se retrouve par exemple avec chaque gâteau dans un "sachet fraicheur", ou, summum de l'idiotie, des carottes (pas ce qu'il y a de plus fragile donc) emballées dans du plastique ! C'est dingue, mais même ça ça a été fait. Aussi misérable que c'est, on ne devrait même pas s'en étonner, sa logique l'y a poussé, et il a faut d'autres choses incroyables, incroyablement mauvaises et révélatrices de sa dynamique folle. Le capitalisme a par exemple réussi le tour de force d'avoir littéralement mis le feu au lac, à de la flotte !, et oui il l'a fait à Bangalore en Inde.
Au nom du revenu des gens, faut-il alors tout lui céder ? et en finir avec les conditions environnementales qui ont été propices à l'humanité ? Ça ne serait que retarder le problème et se retrouver plus tard avec des problèmes plus grands. Ou alors il faut avoir l'espoir que la technologie résoudra à l'avenir le problème et suffisamment vite. On peut aussi avoir un peu de sagesse : ne pas s'épuiser présentement inutilement pour rien et ne pas prendre de telles risques par une foi aveugle dans le progrès technologique. D'autant plus que les raisons d'adhérer à celui-ci ont été scientifiquement contestées et à priori solidement. Là-dessus on peut notamment citer "Les limites de la croissance (dans un monde fini)" ou "rapport Meadows" par le Club de Rome et "La décroissance, entropie, écologie, économie" de Nicholas Georgescu-Roegen. En ouvrages plus récents, on peut proposer "L'Âge des low tech" par Philippe Bihouix, ainsi que "Comment tout peut s'effondrer" par Pablo Servigne et Raphaël Stevens. En bien plus court et spécifique, Kris De Decker a écrit "L'économie circulaire est-elle vraiment circulaire ?" publié sur le low-tech magazine.
La décroissance économique et l'horreur de la récession
On ne peut cependant pas, il est vrai, ne point prendre en compte le besoin de revenu des gens, ou plus exactement de l'accès à ce qu'il permet. Les gens ont besoin de boire, de manger, et aspirent à un minimum de confort, donc de pouvoir se vêtir, se loger, ainsi que quelques autres choses matérielles encore, qui varient en fonction des sociétés et des personnes. Dans une économie à forte division du travail et dans laquelle l'accès à nombre de choses importantes en passe par le rapport monétaire, avoir de l'argent, du revenu, et en quantité suffisante est effectivement quelque chose que l'on ne peut, ou plutôt ne doit pas, balayer d'un revers de main. Ça leur est crucial et il faut donc le prendre en compte.
Sans dévier des grandes lignes économiques de l'économie de marché capitaliste, il y a pourtant, même dans ce cadre, de quoi agir pour ne pas laisser sombrer les gens. Tout d'abord, remarquons qu'avec beaucoup moins d'emballages produits et à traiter post-usage, donc la suppression du travail lié, la même valeur d'usage est produite (ou quasiment). Ce travail étant inutile (ou presque) et écologiquement nuisible (par dilapidation de ressources et pollution), on ne devrait voir aucun inconvénient à le supprimer, puisqu'il ne fait pas varier la richesse économique, et les anciennes personnes affectées à ça pourraient continuer d'être payées de même. En effet, ce qui était obtenu via le rapport monétaire-marchand est toujours produit, sauf une grande part des emballages, mais remplacées par des emballages plus durables et nécessitant moins de travail, et pourquoi pas aussi un moindre usage des emballages.
Mais ne serait-ce pas payer des gens à ne rien faire ? ne serait-ce pas injuste vis-à-vis des autres (ou de la partie des autres en capacité de travailler) ? Dans le capitalisme, on peut objecter à raison que c'était déjà avant le cas de la bourgeoisie, car ses membres captent au moins en partie et parfois dans des quantités vertigineuses bien plus que ce qu'ils ont pu socialement produire. Si l'on trouve que rémunérer des gens au-dessus de la valeur qu'ils ont pu produire est moralement non valable, alors il conviendrait d'en finir avec la bourgeoisie, en tant que classe sociale privilégiée, c'est-à-dire en finir avec les privilèges sociaux et non pour autant devoir nécessairement supprimer les gens qui en font partie. Cependant, rappeler que c'est déjà le cas de la bourgeoisie n'enlève rien à l'objection, et on pourrait se placer dans un cadre sans domination économique ou au moins dans un dans lequel elle serait fortement atténuée. On se bornera néanmoins là à ce qui est possible dans une économie de marché.
S'il y a moins de travail à accomplir, on peut tout simplement baisser le temps de travail par personne, ainsi il sera équitablement partagé. Une objection simple serait de rappeler que chacun ne sait pas tout faire et que donc on ne peut pas mettre n'importe qui à un n'importe quel poste de travail. C'est vrai, mais il y a des postes qui pourraient être plus aisément pris par un grand nombre de personnes, et ce serait eux qui seraient les plus utiles pour arriver à réaliser une bonne répartition. Cependant on pourrait encore faire valoir qu'il peut être plus intéressant, d'un point de vue productiviste, qu'un nombre plus restreint de gens fassent la même chose, car il y a besoin de moins de formation, moins d'interaction entre les gens, moins de temps à se remettre sur le sujet après une pause, entre autres choses. Alors, si on prenait en compte que le négatif, il suffirait de baisser le temps de travail mais pas autant que ce qui a été supprimé. Toutefois il y a au moins un bien fait et il se pourrait qu'il puisse être supérieur aux malus en terme de productivité. On pense tout simplement au corps plus reposé, donc avec potentiellement plus de force et de concentration au moment de réaliser le travail économiquement valorisé. On fera d'ailleurs remarquer que la productivité horaire varie effectivement selon les pays, y compris entre pays avec un niveau machinique du même ordre de grandeur, et de même pour l'éducation. Par exemple, au début du 21ème siècle, une personne en France produirait en moyenne plus qu'une personne en Allemagne dans le même laps de temps.
Mais dans une économie de libre-échange, où donc la production de déchets et leur gestion post-usage peuvent servir en dehors de la ou les zones ayant décidé d'en faire moins usage, n'est-ce pas risquer d'avoir potentiellement moins de commandes de l'extérieur, donc propice à une balance commerciale du mauvais côté, et au final moins d'argent pour profiter de ce qui est produit là-bas ? On voit bien que c'est en fait plus général que les déchets. On peut rétorquer ça à tout projet de décroissance économique. Mais, d'un point de vue écologique, produire moins et consommer moins, c'est mieux. Si on partage adéquatement les richesses produites et que le temps contraint à travailler est baissé, cela ne compense t'il pas d'avoir moins via le marché ?
Pourquoi ne pas aussi produire mieux (socialement et écologiquement) ? Problème : dans une économie de libre-échange, ils sont plus chers et sont donc défavorisés par rapport aux autres produits avec des exigences plus basses ou sans. Solution : imposer les mêmes à ceux venant de l'extérieur. Alors évidemment ça suppose de rompre avec la ou les éventuelles institutions supra-zone qui impose le libre-échange ou d'arriver à les transformer (si tant que ce soit raisonnable d'y parvenir vraisemblablement dans un horizon raisonnable). Mais est-ce que ça ne peut parfois être trop dur de contrôler ? Ça peut en effet, alors là on peut tout simplement interdire.
Mais proscrire trop de choses extérieures et trop vite, ça peut ne pas être nécessairement raisonnable. Dans ce cas, à défaut d'interdire, on peut alors réduire la pression concurrentielle. Dans une économie de marché, on peut pour ça faire du protectionnisme économique, ce qui par parenthèse n'implique nullement de restreindre le droit de circulation des personnes et des savoirs (car, d'un point de vue écologique, on peut toutefois avoir l'envie d'en réduire la vitesse et la quantité, par exemple moins d'avions et une moindre vitesse pour les réseaux informatiques). Un moyen très simple de réaliser du protectionnisme économique est de taxer de X tout bien ou service non-gratuit qui vient de l'extérieur et de Y tout capital qui sort. Certains amis de l'égalité économique (ou au moins de pas trop d'inégalités), véritables ou bien opportunistes, pourraient être tentés de s'y opposer, car ça serait plus problématique pour les pauvres que les riches ! Sauf que le fruit de la taxation peut être au moins en partie redistribué aux personnes en ayant le plus besoin, directement (par exemple par aide publique ou réduction d'impôt) ou indirectement (par exemple par augmentation d'un ou plusieurs services publics, voire la création d'un ou plusieurs nouveaux, dont on pourrait imaginer qu'un fasse de la fourniture gratuite ou aidée de moyens de production).
Sans accentuer la fracture sociale, on pourrait donc produire mieux, autant d'un point de vue social qu'écologique, les emballages qui resteraient, et faire de même mieux pour le traitement post-usage. Mais les personnes les plus aisées ne pourraient t'elles pas plus contourner que la moyenne en allant s'approvisionner à l'étranger ? En toute généralité, c'est vrai, mais c'est tout de même peu probable pour les emballages. Mais il est toutefois vrai qu'il n'y a pas qu'eux. Pour restreindre la possibilité, on peut restreindre le volume des bagages pour les transports arrivants d'une zone n'ayant pas des normes (sociales et écologiques) au moins aussi fortes. Une autre solution est d'agir via la monnaie. Pour cela, il faut que la monnaie dans la zone soit différente de celle(s) dans la ou les zones non-respectueuses de la ou les normes voulues. Et pour ce qui est du comment, il faut jouer sur le taux de change, d'ailleurs un autre bon levier de protectionnisme économique (via la dévaluation). Cela n'empêcherait pas pour autant d'avoir une monnaie commune, si tant est qu'on y tienne et qu'on ait envie de dépenser de l'énergie pour ça (car on peut trouver d'autres choses plus importantes et donc prioritaires). Préciser plus ferait encore s'éloigner du sujet de base, on propose du coup de renvoyer aux réflexions du chapitre 7 "Pour une monnaie commune" de "La malfaçon : monnaie européenne et souveraineté démocratique" (par Frédéric Lordon, paru en 2014 aux éditions Les Liens qui Libèrent, puis en 2015 chez Babel).
Vers autre chose ?
Réduire les déchets et donc la pollution qui va avec, sans oublier l'aspect social qui est lié, c'est une chose, mais n'est-ce pas trop peu ? Écologiquement ça l'est évidemment. Mais surtout ce qui a été proposé, à savoir des solutions plutôt gentillettes qui ne sont que des béquilles pour rester dans le système ou des changements significatifs en faisant changer de forme mais sans pour autant en altérer l'essence, est-ce que ça ne risque pas d'être trop peu vis-à-vis du défi écologique ? Et ne faudrait t'il pas aller plus loin, économiquement, mais peut-être surtout sur un autre terrain ?
En effet, les ressources sont limitées dans un monde fini et la capacité de pollution l'est également. Et sur la planète Terre, nous pourrions bien rester, et ne pas avoir grandement ou du tout la possibilité ni d'amener des ressources depuis ailleurs ni d'expulser de la pollution et des déchets. Or le seul apport significatif qui arrive sur la Terre est la lumière du Soleil. Ça nous est utile pour produire de la vitamine D, c'est très utile aux plantes pour pousser, ça peut se capter et se convertir en électricité (mais il faut que nous soit accessibles les ressources matérielles le permettant), et d'autres choses encore, mais il se pourrait bien que ça ne puisse suffire à certains modes de vie et en fait plus globalement à un certain niveau d'industrialisation tout court, voire peut-être même à terme de l'industrie tout court ou sous une forme si minimale que ça pourrait apparaitre ainsi à une personne habituée à un niveau d'industrialisation aussi élevé que celui des sociétés les plus développées en ce sens du dernier tiers du 20ème siècle. Mais on se projette là dans des horizons peut-être bien lointains, et donc avec une certaine incertitude à priori.
Moins loin, partant de la finitude des ressources et de la capacité de l'environnement à encaisser la pollution, ne devrions-nous pas remettre en cause le libre accès gratuit et infini au non-humain ? Certes, dans le capitalisme, il y a bien quelques zones et espèces protégées, des normes sur la pollution, parfois des quotas sur ceci ou cela, etc., mais est-ce qu'il est vraisemblable que ce sera suffisant ? la logique générale ne mène t'elle pas à toujours plus d'exploitation du monde non-humain (de par le remplacement du travail vivant par le travail mort, direction rendue souhaitable par la concurrence et par la considération sociétale de la gratuité du non-humain couplée à une absence protectrice à son égard ou trop faible) ? Plutôt qu'une logique aveugle et en bonne partie automatique (de par les mécanismes de la concurrence, conduisant à l'élimination des plus mauvais selon le mode d'évaluation du marché, et l'engendrement du désir du salariat capitaliste pour au moins s'éviter le dépérissement, mais pas forcément que pour ça comme l'a expliqué Frédéric Lordon dans son livre "Capitalisme, désir et servitude"), ne faudrait t'il pas consciemment décider ce qui est produit et comment ? ou au moins avoir des mécanismes forts pour influer là-dessus ?
Mais n'était-ce pas là ce qu'a fait le stalinisme avec sa planification ? et ne devrait t'on pas reconnaitre que ce fut un horrible régime ? Nous sommes tout à fait d'accord que cela n'est point à reproduire. Néanmoins cela ne doit pas pour autant empêcher de penser, et même pourquoi pas, tenter de réaliser une gestion économique au moins partiellement guidée, et ce d'une manière plus forte qu'avec des restrictions et quelques incitations (para-)étatiques, d'autant plus que ça pourrait être écologiquement bien utile (comme nous en est donné une forme maximale ou proche de la maximilité par le léninisme écologique anti-stalinien d'Andreas Malm, que l'on peut retrouver en français aux éditions La Fabrique et chez Verso Books en anglais). Mais évidemment il faut en penser des formes adéquates non-utopistes et réfléchir au(x) moyen(s) de les faire advenir. Après avoir défini ses (très bonnes et très générales) orientations, c'est par exemple ce qu'a fait Frédéric Lordon dans sa série d'articles "Perspectives" de 2020, sur son blog "La pompe à phynance" hébergé par le journal "Le Monde diplomatique", dont une adaptation de l'essentiel a été faite au format livre avec "Figures du communisme" (éditions La Fabrique, 2021).
Il y reprend notamment la proposition de Bernard Friot et de l'association Réseau Salariat. Dans celle-ci, chaque personne ayant atteint la majorité politique a un salaire à vie comme droit politique, au même titre que le droit de vote. Cela fait une garantie économique générale pour les individus et supprime de fait le salariat au sens de Karl Marx, donc l'aiguillon de la survie poussant à produire n'importe quoi et n'importe comment. Mais ce n'est pas tout et c'est bien pourquoi ce n'est pas du revenu de base suffisant. En effet, en plus des lois, il y a d'autres leviers de contrôle collectif sur la production. On peut progresser de salaire (avec une limite), mais ça en passe par un jury de qualification, et celui-ci peut avoir comme consigne (démocratiquement décidée dans les caisses de salaire) de récompenser en priorité ou plus favorablement les personnes travaillant à ce ceci ou cela, donc contribuant de la sorte à orienter la production. Il y a aussi le puissant paramètre de l'accès à l'investissement externe (à différencier de l'auto-financement), qui pourra être octroyé par des caisses d'investissement, sous contrôle démocratique et de préférence autogestionnaire, permis par le fait que les caisses ne sont pas alimentées par des maitres, mais par des cotisations sociales, constitutives de la part socialisée du salaire, sur le modèle du régime général de la Sécurité Sociale de la Santé. De plus, il y a également des caisses de gratuité, comme les autres gérées démocratiquement, permettant d'influer sur la consommation. Pour celles et ceux que l'abandon pur et simple du marché serait trop dur à imaginer et/ou ferait peur, sachez que cette proposition conserve l'économie de marché, mais en lui greffant de puissants moyens de l'orienter autres que les lois.
Dans l'éventail du possible, on peut également envisager plus de planification, par du contrôle plus directe. Pour une version très étatique et pensée comme calibrée pour répondre adéquatement à l'urgence écologique chronique, on peut lire "La chauve-souris et le capital" (Andreas Malm, éditions La Fabrique, 2020) pour sa troisième partie nommée "Communisme de guerre", mais écologiquement on peut lui reprocher sa foi en les "hautes" technologies, qui n'enlève néanmoins que très peu d'intérêt aux propos. Mais beaucoup moins ou plus du tout d'économie de marché n'implique pas nécessairement d'en passer par un pouvoir très concentré (donc très puissant mais aussi très dangereux du coup). En propositions sous cette angle, il y a entre autres : "Proposition rapide d'une vision économique de l'actuel et d'un éventuel demain" (Nicola Spanti, 2020, page web et brochure), "Le projet de société syndicaliste révolutionnaire" (Comités Syndicalistes Révolutionnaires, juin 2019), "Un projet de société communiste libertaire" (Alternative Libertaire, devenu Union Communiste Libertaire, après fusion avec la Coordination des Groupes Anarchistes) et "Pour le communisme libertaire" (Daniel Guérin, Les Amis de Spartacus, 2003), ainsi que "Projection : l'horizon des récommunes" (la dernière partie du livre "La crise de trop", par Frédéric Lordon, chez Fayard en 2009), voire également "La Convivialité" (Ivan Illich, aux éditions du Seuil en 1973 et aux éditions Points en 2014).
La gestion en commun de tout ou presque, économie comprise, est un vieux projet. Autrefois il pouvait sembler n'y avoir que des raisons directement sociales. Mais avec la planète qui se réchauffe, mais pas que, l'humanité finira peut-être bien par devenir rouge (couleur du socialisme et du communisme), voire même également noire (couleur de l'anarchisme). Le mutualisme à haut niveau dans un monde déstabilisé, la possibilité structurelle et l'acceptation d'une descente significative des niveaux de vie matériel, ainsi que la mise à bas de ce qui cause de si grands dangers remplacé par une gestion en commun très largement étendue (dont la forme suprême réaliserait enfin l'idéal démocratique, quoi que les zapatistes, au Chiapas, y seraient en fait déjà), voila qui pourrait bien permettre à l'humanité de se sauver, contre le despotisme économique, qui a historiquement été de pair avec un déluge de pollution et le consumérisme effréné. Cependant ça ne tombera pas du ciel, malheureusement. L'éventuel chemin est semé d'embuches et l'issue peut être désastreuse (comme l'a bien illustré l'Histoire). Pour notre malchance, l'universalité de long-terme du grandiose intérêt collectif ne suffira pas à vaincre la réticence par la Raison et il y a fort à parier que la voie ne sera pas purement démocratique. À ce propos, du blog "La pompe à phynance" de Frédéric Lordon hébergé par le journal "Le Monde diplomatique", on peut lire "Appels sans suite : le climat" (12 octobre 2018), "Détruire le capitalisme avant qu'il ne nous détruise" (7 octobre 2019), "Le capitalisme ne rendra pas les clés gentiment" (22 novembre 2019) et "Chili 73" (10 septembre 2020). Autre chose est possible, mais faut-il arriver à l'atteindre… Dans le cas contraire, l'humanité pourrait souffrir d'une manière durable (voire disparaitre), ou du moins avoir bien moins de possibilités de joie et bien plus de risque de tristesse. Alors le privé en très grande partie aux manettes ou plein de pouvoir au "public" (dans un sens large et multiple) ?