L'écologie processusiste

Ne pas rire, ne pas pleurer, ne pas détester, mais comprendre. Cette synthèse d'un extrait de l'introduction du "Traité politique" de Baruch Spinoza résume d'une certaine manière l'angle de "l'écologie processusiste" et par là ce qui la différencie d'autres types d'écologie. Sa base se veut être scientifique, comme le spinozisme et le marxisme d'ailleurs. Il ne faut toutefois pas se tromper sur la scientificité, car la volonté scientifique n'empêche nullement qu'il puisse y avoir des erreurs. De plus, s'aventurer dans un projet à visé scientifique n'a rien de contradictoire avec en faire un usage à des fins politiques, comme l'a par exemple fait le sociologue Pierre Bourdieu. On peut rajouter que des fins politique ont très bien pu être la source de l'entreprise, mais cela ne lui fait pas perdre pour autant sa prétention scientifique, car la science nécessite la méthode scientifique et son usage politique n'altère en rien sa scientificité.

Plus précisément, ce que l'on propose de nommer "l'écologie processusiste" est une étude à volonté scientifique des processus affectant l'écologie, qu'ils soient "directs" ou "indirects". En fait, c'est une approche de l'écologie scientifique qui a pour spécificité de mettre un ou des processus au coeur de son analyse. Pour expliciter la différence avec certains autres types d'écologie, on propose d'en donner des exemples. Ce que l'on pourrait nommer "écologie poétique" ou "écologie artistique" s'oppose à la dégradation de l'environnement selon des critères subjectifs de beauté et de laideur. "L'écologie accusatrice" accuse, par exemple les multinationales ou le capitalisme, avec potentiellement son lot de pleurs et de détestation, mais elle n'a pas en elle-même de volonté explicative, mais elle peut tout à fait s'appuyer sur un autre type d'écologie rationaliste, bien qu'elle puisse aussi avoir une base poétique. "L'écologie rationaliste" se base sur la Raison, en tout cas c'est sa prétention, mais c'est le néant sur le comment. "L'écologie factuelle" récupère des faits, dont elle peut faire entre autres des statistiques et des analyses de tendance, mais elle ne s'occupe pas de les comprendre, c'est-à-dire d'en chercher la ou les causes. "L'écologie conceptuelle" manie essentiellement des concepts, au contraire de "l'écologie des chiffres". "L'écologie des chiffres" se base avant tout sur des chiffres, elle est donc friande de statistiques, de graphiques, etc. "L'écologie asocial" ne s'intéresse pas au social et n'utilise donc que la lentille des sciences "dures" (mathématiques, physique, chimie, biologie, etc.). Au contraire, "l'écologie sociale" accorde une part significative au social et se lie donc au moins à une science sociale (sociologie, anthropologie, économie, etc.), tout en étant nullement obligée de se revendiquer de Murray Bookchin. "L'écologie politique" fait une analyse politique de l'écologie, comme c'est le cas par exemple du courant de pensée de la décroissance ou au moins une partie de celui-ci (on pense par exemple à Ivan Illich et André Gorz). "L'écologie systémique" s'intéresse aux systèmes en lien avec l'écologie, et les systèmes qu'elle peut étudier peuvent avoir des natures très différentes (biologique, politique, etc.).

Les types d'écologie peuvent se combiner dans une certaine mesure. "L'écologie processusiste" ne fait pas exception. Tout d'abord, elle se veut rationnelle. Ensuite, elle n'a aucun problème avec les faits, au contraire. Cependant elle ne s'arrête pas aux faits, et encore moins aux chiffres qui ne sont que des faits transcrits d'une manière particulière, car elle a pour but de comprendre ce qui les a engendré et elle peut tenter de prédire l'avenir par l'analyse des tendances et de leurs causes, qui pourraient rester globalement stables ou être significativement altérées. Un processus s'inscrit dans un système, donc elle ne peut faire l'impasse de "l'écologie systémique". Pour nommer le ou les processus qu'elle a la prétention de percevoir, ainsi que la ou les causes qu'elle pense avoir identifié, elle doit s'outiller de concepts. Elle est compatible avec l'esprit des sciences sociales, en particulier celles structuralistes. De ce fait, elle peut faire une critique écologiste artistique, mais elle ne le peut qu'en s'évertuant à expliquer la perception artistique vis-à-vis de l'environnement et le ou les processus qui l'ont engendré, en s'appuyant par exemple sur la philosophie spinoziste (qui met à disposition entre autres les concepts d'affection, d'affect, d'ingenium, de multitude, etc.). Elle peut tout à fait se nouer avec la politique, car ses potentielles tentatives de prévisions peuvent être des avertissements sur un avenir anticipé et elle peut fournir une ou des prescriptions politiques qui altéreraient un ou des processus impactant l'écologie.

Pareille description peut paraitre bien indigeste et on peut se demander qu'est-ce qui pourrait correspondre avec la définition de "l'écologie processusiste" proposée dans le présent article. Un bon exemple est le rapport du Club de Rome nommé Les limites de la croissance (dans un monde fini) (The Limits To Growth dans sa version originale qui est en anglais), également connu en français sous le nom Halte à la croissance ?, ainsi que sous l'appellation de rapport Meadows. En effet, il offre une vision processus avec des causes. De plus, contrairement à d'autres études de processus, il a l'avantage d'envisager que le processus "apparent", en l'occurrence la croissance économique industrielle, peut entrer en crise et même potentiellement s'inverser. Cela rompt avec l'idiotie de la tendance nécessairement immémorielle : puisque cela n'a pas arrêté de croitre, alors cela va nécessairement continuer de croitre. Par exemple, si on présentait la taille d'un enfant avec un relevé de sa taille chaque année, on pourrait être tenté de prédire sa taille par simple prolongation statistique si on n'a pas de données empiriques sur le sujet, ce qui ferait par exemple stupidement pronostiqué qu'un enfant humain de 12 ans ayant grandi d'environ 10 centimètres par an fera environ 4 mètres à 40 ans, et cela pourrait être revendiqué en apparence comme étant un résultat tout à fait scientifique, alors qu'une étude des causes du processus de grandissement n'aurait pas été aussi affirmative (du moins on peut l'espérer).

Toutefois le rapport Meadows ne cherche pas à comprendre le ou les processus sociaux. Quand il a proposé plusieurs scénarios, ce n'était pas juste de la prudence, c'était surtout l'angle mort du rapport et la naiveté avoué au moins par Denis Meadows que les "dirigeant·e·s" prendraient rationnellement en compte les apports du document. Il n'en a rien été, alors qu'une étude des causes sociales et du processus qu'elles engendrent aurait pu permettre de tenter de déterminer à quoi s'en prendre.

On ne prétendra pas fournir une réponse dans le présent article. Toutefois on se propose d'énoncer des pistes. On insiste sur le fait que ce sont des pistes. Celles-ci sont indiquées avant tout comme exemples de grilles de lectures qui peuvent être mobilisées pour comprendre le processus social, aussi bien pour compléter le rapport Meadows que plus généralement car ce rapport n'a été ici utilisé que comme exemple. La première est l'analyse de l'économie par Karl Marx, qui a entre autres à juste titre prédit, avec explications causales et comme processus historique dans le cadre du capitalisme, la hausse relative tendancielle du travail mort (des machines) avec son corrélat la baisse relative tendancielle du travail vivant (des humains), que l'on retrouve comme des fondements de sa théorie de la baisse tendancielle du taux de profit qui se base aussi sur la croissance tendancielle du système dans le processus qui engendre jusqu'à sa supposée chute. La seconde piste est la proposition de système technicien de Jacques Ellul.

Ainsi ce que l'on a proposé de nommer "l'écologie processusiste" peut se borner à certains types de processus. Le rapport Meadows est par exemple "asocial". C'est là une écologie processusiste partielle, car elle fait fi des processus sociaux, voire les nie. Au contraire une écologie processusiste complète incorpore tous les types de processus significatifs. En fait, elle doit idéalement chercher la ou les causes de la ou des causes "superficielles", en tout cas au moins pour le but considéré, qui peut par exemple être la soutenabilité de l'humanité dans son environnement avec le nécessaire pour son bonheur que l'on peut grosso-modo considérer avec des pincettes comme ayant été la motivation finale du rapport Meadows. En fait, c'est plus généralement que l'étude scientifique ne doit pas avoir de dogmes, et donc entre autres ne pas limiter ses objets d'études, ce qui peut lui permettre d'aller chercher l'explication "à la racine", c'est-à-dire être radicale. La complétude renvoie plus à l'ensemble des objets qu'à la radicalité. Ainsi, pour comprendre et potentiellement influencer au mieux, ce ne serait pas vers une écologie processusiste complète qu'il faudrait tendre, mais ce serait vers une écologie processusiste radicale.

Post-scriptum

On n'admet que l'expression "écologie processusiste" n'a pas grand intérêt. En effet, c'est proche dans les faits d'"écologie systémique" et "d'écologie structuraliste" (à condition de ne pas borner les structures au social, car en soi les structures sont l'expression d'un système, voire le système lui-même selon comment on envisage les choses). On propose donc que ce que l'on pourrait retirer d'intéressant de ce texte n'est pas une expression pompeuse, mais qu'il explique une manière d'envisager l'écologie et la compare à d'autres. Il peut donc notamment permettre de penser brièvement des angles de réflexion en rapport avec l'écologie, mais aussi plus généralement puisqu'il n'y a évidement pas de coupure nette entre chaque idée et toutes les autres, car il y a un continuum. De plus, il permet sans ré-expliquer de situer sous un certain angle les personnes s'en réclamant.