Écologie : analyses sociales pour faire la transition

La situation

Le GIEC (acronyme de Groupe d'Expert·e·s Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat), ou en anglais IPCC (Intergovernmental Panel on Climate Change), a sorti un énième rapport en aout 2021. Il a été fait par le groupe 1 et c'est le sixième du genre. Comme d'habitude c'est une méta-analyse sur le climat, qui n'est qu'un des aspects de l'écologie environnementale, et ça fait scientifiquement autorité.

Est-il bien différent des précédents ? Non sur l'essentiel, il se contente comparativement seulement de préciser certains choses. L'activité humaine est-il une cause du changement climatique ? Oui, c'est extrêmement probable. Et ce n'est pas tout, c'est fort vraisemblablement la cause principale, si ce n'est la seule ou considérable comme telle. Est-ce que cela s'annonce radieux pour l'humanité ? Pour le moment, ce n'est pas génial, mais ça va encore. Mais si on continue à émettre en masse du gaz à effet de serre et qu'on ne démarre pas dès maintenant et avec vivacité une transition vers la neutralité carbone ? Alors là, ça pue, beaucoup, il faudrait donc éviter. Rien de bien nouveau donc, rien de quoi être nouvellement choqué.

Mais au vue du tableau dressé, n'y a t'il pas quelque chose de choquant ? Même si ce n'est pas nouveau, il y a bien une chose révoltante et inquiétante : rien n'est fait, ou presque. La grande majorité dit y être sensible. Plus les gens sont éduqués, plus ils affirment être sensibles à la cause, mais ça n'empêche qu'en même temps les gens les plus éduqués sont ceux qui polluent le plus. Du côté des entreprises lucratives, nombre d'entre elles affirment être passées au développement durable ou être en train de transitionner, et certaines évoquent haut et fort qu'elles s'engagent, pourtant les émissions annuelles de gaz à effet de serre sont tendanciellement de pire en pire. Malgré cette empiricité, qui ne date pas de l'année dernière, selon un certain nombre de gens, il faudrait ne pas les contraindre, attendre qu'elles s'auto-régulent ou que le Marché les y pousse suffisamment (et donc que ce soit ce niveau supérieur qui s'auto-régule). Les gouvernements ne sont pas en reste, les soi-disant représentant·e·s, ou du moins une partie, auraient compris le problème (qui bien souvent semble chez elleux uniquement climatique) et appellent à être hauteur de l'enjeu.

Cependant, malgré toutes ses déclarations, à peu près rien n'est fait dans le bon sens. Et le peu qui va dans le bon sens, qui a lui le droit à une grande publicité, est ridicule comparé à ce qui va en sens inverse, qui a parfois une publicité fallacieuse et le cas échéant peu d'attention y est apporté, si ce n'est par de méchant·s écologistes qui ne seraient capables que de voir bien trop les problèmes et fort insuffisamment les bons efforts. Au final, le résultat net est donc négatif, et de loin, sans qu'il y ait une tendance à sa réduction rapide. Au contraire, le bilan annuel net global est plutôt au mieux stationnaire et tendanciellement il s'aggrave.

2020 a été une année exceptionnelle, selon une lecture littérale, autant du point de vue environnemental d'au moins de court-terme (probablement insuffisant mais allant clairement dans le bon sens) que du point de vue social (lui très mauvais, du moins pour la majorité). Mais ce n'est pas vraiment le fruit d'une volonté environnementale et il n'est pas à l'ordre du jour de reproduire. C'est une erreur et non un geste d'audace qu'il faudrait rendre coutumier et amélioré sur les détails pour en réduire les désagréments (notamment sociaux bien sûr) et pourquoi pas en augmenter les bienfaits.

L'hypothèse à priori la probable de la cause de la pandémie de Covid-19 et ses variants est d'ordre environnementale, à savoir un débordement zoonotique, c'est-à-dire le passage d'une maladie d'un animal non-humain à l'humain. Et c'est certaines activités humaines (dont celles émettant des gaz à effet de serre, la déforestation et la chasse d'animaux sauvages) qui ont rendu bien plus probable un débordement zoonotique. Pourtant, malgré que l'on sache ça, en 2020, l'année où il a commencé à frapper massivement, la volonté consciente a produit des actes visant intentionnellement uniquement les symptômes. La cause probable et ses ramifications n'ont pas eu le droit au geste conscient contre elles, bien que par accident il y ait eu de bonnes choses (au moins à priori la réduction des émissions de gaz à effet de serre), mais dont l'année 2021 ne semble pour le moins pas porteuse de la reproduction et encore moins de l'approfondissement.

Mais il faudrait se rassurer, car beaucoup de choses bonnes seraient faites. En fait, le bilan net et son évolution ne vont pas en ce sens et malheureusement pas qu'un peu. Les seules méta-choses positives qui sont effectivement faites, ce sont des micro-gestes globalement insignifiants mais néanmoins très mis en avant, soit du green washing, et de grandiloquents appels sans suite. Si ce n'est ça, à quelques rares exceptions près que le bilan global au final noie et qui sont donc bien trop marginales, rien n'est fait, du moins dans le bon sens. Ce bilan si sombre invite à réfléchir pourquoi.

Pourquoi donc autant (quoi qu'ils appellent un traitement différencié) les individus, les entreprises et les gouvernements se bornent à continuer d'agir comme avant, comme si de rien n'était ? De par une formation idéologique construite et consolidée en longue période et aucunement naturelle (comme l'attestent les Amish), bien des individus entrevoient le bonheur (certes fort souvent que partiellement) par le toujours plus matériel. Et il y a tout un tas de contraintes sociales fortes et d'autres plus faibles mais pas moins actives, que chaque individu isolément ne peut que bien difficilement surmonté par la petite force de son propre être, et pour cause il a la société devant lui. Les entreprises lucratives doivent survivre dans l'environnement qu'est le leur, il est compétitif et pousse au toujours plus. Elles peuvent bien se suicider, mais elles seront alors remplacées par d'autres. De plus, certaines peuvent être plutôt vertueuses ou jugées comme telles (dans l'absolu ou comparativement), mais elles y arrivent bien souvent en n'occupant une niche, c'est-à-dire en étant marginal et en le restant. Enfin les gouvernements ont un intérêt à ce que les entreprises se portent bien, car elles fournissent emplois, taxes et cotisations. Mais il n'y a toutefois pas que ça…

Pourquoi en effet ne pas politiquement les ré-orienter (par des normes légales, par des mécanismes de marché, par collectivisation, et/ou encore un autre moyen) ? Il y a 2 aspects, ou plutôt 2 niveaux. Commençons par celui le plus basal.

Le libre-échange capitaliste

Les gouvernements se déploient à l'échelle d'un pays. Certes il y a des unions de gouvernements, dont certaines avec un pouvoir fort, mais aucun qui soit mondial et fort. Or les entreprises ne sont pas en concurrence qu'à l'échelle d'un pays ou d'un amas incomplet de pays, et elles doivent être compétitives, donc une concurrence sans frein ou trop peu implique qu'elles soient compétitives vis-à-vis de l'éventuel extérieur où elles opèrent, car sinon elles disparaissent au profit d'autres et ces dernières seront probablement d'autres zones. Imposer des restrictions ou des normes contraignantes à des entreprises lucratives mises en concurrence n'est donc viable que si c'est fait à l'échelle mondiale ou alternativement que les mêmes normes soient imposées aux entreprises extérieures à l'importation ou encore qu'elles soient suffisamment protégées de l'extérieur pour contre-balancer la distorsion de concurrence (ou autrement dit : corriger des distorsions par des distorsions contraires et compensatrices). Plus succinctement, le sujet est là celui des conditions externes de viabilité.

Une solution simple à cela est tout simplement de se couper purement et simplement de l'extérieur. C'est indéniablement efficace d'un point de vue très abstrait. En pratique, la division du travail est inter-nationale et ce depuis bien longtemps. En effet, elle l'était déjà au temps d'Adam Smith, au 18ème siècle selon le calendrier grégorien / catholique, et celui-ci nous a d'ailleurs légué à ce propos son exemple de la veste de laine à la fin du chapitre 1 de son fameux ouvrage "La richesse des nations". À moins d'être prêt à revenir à un état primitif, on ne peut donc pas s'en passer. Toutefois cela ne signifie pas pour autant qu'on ne peut faire varier l'articulation entre l'intérieur et l'extérieur. Rien n'oblige à ce que ce soit du libre-échange déchainé.

Certains rétorqueront peut-être qu'il suffit de globalement en finir avec la concurrence du Marché. On peut pourquoi pas le souhaiter, toutefois ça ne se passera éventuellement fort peu vraisemblablement du jour au lendemain, d'un coup. Une transition, temporaire donc, serait nécessaire. Même si c'était aboli à un endroit, à moins de se couper économiquement du reste du monde ou de déjà ne pas y être relié par le biais économique, il faudra continuer dans une certaine mesure d'échanger avec l'extérieur n'ayant pas encore réalisé sa transition ou ne l'ayant pas encore finalisée. Même dans cette hypothèse abolitionniste, l'articulation avec un extérieur différent sera une nécessité, même si ce n'était que temporaire.

On pourrait également rétorquer qu'il faut agir globalement et qu'une solution non-globale n'aurait donc aucun sens. Pour certains aspects environnementaux, dont le changement climatique, et d'un pur point de vue des sciences dures, c'est tout à fait fondé. Toutefois, tout n'est environnementalement pas global et il peut y avoir un effet d'entrainement. De plus, attendre une synchronicité mondiale est au mieux fort utopique, donc hormis optimisme farouche et prêt à ne miser que sur ça, il faut être prêt à miser sur autre chose, en l'occurrence pas du mondial, ou au moins pas tout de suite.

Revenons donc enfin à notre articulation économique entre notre intérieur et notre extérieur. L'intérieur aurait des normes environnementales plus hautes, et tant qu'on y est on pourrait faire de même socialement, d'autant plus que ça pourrait être une compensation bienvenue pour accepter les conséquences non-environnementales des politiques environnementales, comme à tout hasard de profonds changements dans les affectations au sein des systèmes productifs et, dans une perspective décroissante, aussi dans les modes de vie. Les entreprises lucratives de la zone, pour rester compétitives et donc ne pas disparaitre, devraient être protégées vis-à-vis de l'extérieur. Elles n'ont pas à en être nécessairement totalement protégées, elles n'ont besoin de l'être que suffisamment, et donc pas totalement, en tout cas pas toutes, car sinon ça reviendrait de fait à se couper de l'extérieur, or nous avons vu que cela était fort peu envisageable, à moins de miser sur un changement culturel drastique et très rapide qui est pour le moins fort improbable.

Et comment concrètement réaliser du protectionnisme économique ? Une solution est d'instaurer des interdits, de certains produits, de certains types de produits, de certaines façons de produire, etc. Une autre est de mettre en oeuvre une politique de quota, qui peut utiliser les mêmes critères. Ces 2 possibilités pour faire du protectionnisme économique peuvent être uniformément appliquer à l'extérieur, mais, comme toute politique de protectionnisme, elles peuvent aussi être appliquées d'une manière différenciée selon un certain découpage de l'extérieur.

Dans une économie à dominante monétaire, et il est fort peu probable que l'on en sorte d'un coup, n'en déplaise à certaines personnes partisanes de la désargence, il y a au moins deux grands leviers qu'offre la monnaie. L'un d'eux est la taxation, des produits importés et des flux monétaires sortants. Même si c'est évident, certains semblent oublier ou font mine d'oublier que cela ne fait pas disparaitre l'argent. En effet, cela le réoriente vers l'entité collectrice. Elle peut ensuite entre autres le redistribuer et selon de potentiels multiples critères. Donc elle pourrait très bien en faire la redistribution, en priorité ou totalement, aux personnes moins argentées, et donc que la taxation ne leur nuise pas. Alternativement ça pourrait financer la transition productive avec des critères sociaux. Ça peut bien sûr servir à d'autres choses et plusieurs choses en même temps avec une part pour chaque chose. Un autre levier est de jouer sur les taux de change par dévaluation monétaire interne, qui n'a toutefois d'efficience que si l'extérieur dont on veut se protéger ne fait pas de même ou dans des proportions moindres.

Dans ces 2 cas, ça conduit à amoindrir la concurrence externe et donc amoindrir le potentiel théorico-optimal de la concurrence pour la productivité. Mais tout d'abord, la productivité n'est pas l'objectif d'une politique écologique. Secondairement, l'hypothèse parfois faite de l'optimalité productiviste du Marché laissé à lui-même, ou que ce serait nécessairement la forme qui se rapprocherait le plus de l'idéal, est pour le moins bien vaseuse : affectation inégalitaire des revenus et donc non-optimalité du potentiel de consommation, possibilité de monopole et donc d'annihilation sectorielle de la concurrence et de ses vertus attendus, gaspillage de ressources par duplication au nom des vertus attendus de la concurrence supposée rapidement comme plus que compensatrice sans prise en compte souvent ou trop peu de la forme sociale-institutionnelle des intérêts, non-prise en compte d'externalités négatives dont le coût est reporté sur la collectivité et donc qui défavorise les entreprises lucratives qui en font le moins par rapport aux autres car le coût est identiquement partagé ou est transféré sur celles qui existeront dans le futur, recherche du profit et non de la satisfaction du besoin pouvant conduire entre autres à de la falsification et de l'obsolescence programmée, dissimulation partielle des caractéristiques réelles ou absence de temps et/ou de compétences pour les analyser et mobilisation des affects pour la vente contre l'idéal de la transparence informatrice et du choix rationnel, non-prise en compte du coût de sélection qu'engendre la multiplicité de produits similaires et comptabilisation comme productif des mécaniques intermédiaires au besoin qui tentent de le faciliter à travers au moins de comparatifs et d'effet symbolique d'autorités jugées de référence, sélection partiellement aléatoire des technologie et suivisme mimétique pour l'adoption pouvant conduire à la possibilité d'un effet cliquet par amélioration de la première sélectionnée, recherche d'un certain taux de profit de la finance structurée conduisant à un sous-investissement par non-intérêt d'être en-dessous du taux de profit minimal socialement attendu, etc. Mais le plus gros défaut écologique du Marché est sa recherche du profit et non du besoin, avec en plus le problème que celui-ci est vue d'une façon réductionniste par chaque agent de marché et que cela peut conduire à des aberrations productivistes.

Précisons s'il en était besoin que protectionnisme économique n'implique pas xénophobie. On peut faire du protectionnisme économique et ne pas restreindre les déplacements des gens, tout comme l'échange de savoirs et de culture. De manière analogue, on peut faire du libre-échange économique et dans le même temps restreindre les déplacements des gens, ainsi que la diffusion du savoir et de la culture. Le capitalisme de libre-échange l'a d'ailleurs amplement montré. Enfin, sur ce point, il faut néanmoins avoir l'honnêteté de reconnaitre que les travailleurs et travailleuses sont objectivement mis en concurrence par le Marché, même si l'on souhaite dépasser cela ou au moins rendre cela non-problématique ou moins problématique en ne faisant plus dépendre les besoins à une vie convenable à la concurrence entre travailleurs et travailleuses, par exemple via un revenu de base suffisant (comme le prône par exemple Baptiste Mylondo) ou avec plus d'ambition d'un salaire à vie (selon la proposition de Bernard Friot reprise par d'autres dont l'association Réseau Salariat). Mais faisons remarquer que, même sans la volonté du dépassement de cette condition, cela ne conduit pas logiquement à refuser l'autre individu, car mieux vaut être en concurrence de la même manière et selon le plus haut standard que selon des régimes différents favorables au nivellement par le bas dans le cadre d'une économie de marché sans protectionnisme formel, qui laisse alors se confrontrer à nue les distorsions des structures des systèmes socio-productifs, qui d'ailleurs font que la situation est protectionniste de fait, malgré que certains le dénient.

Mais tout cela a t'il le moindre intérêt si on mise sur de l'investissement public massif, soit un Green New Deal pour reprendre la formule consacrée ? Si l'on pense avec grande assurance que ce serait suffisant, alors il est vrai qu'on peut rester identiquement inter-connecté économiquement avec le reste du monde. Si on a au moins quelques doutes, rien n'empêche de miser sur les 2 combinés. Mais il y a aussi une raison de plus haut niveau.

Mais avant celui-ci, attardons-nous sur une proposition alléchante. Pour polluer moins, ne suffit t'il pas de moins travailler et de partager le travail restant ? Commençons d'abord par constater que ne pas travailler n'est pas ne pas polluer. Sur son temps libre, on peut par exemple jouer à un jeu vidéo très gourmand, regarder une vidéo en haute définition obtenue par réseau, aller voir des gens loin avec une moto ou une voiture ou même un avion, entre autres choses écologiquement très mauvaises. Ensuite, remarquons qu'à articulation économique inchangée avec l'extérieur, on conserve à priori le même niveau technologique dans la production pour rester compétitif, or on pourrait le baisser pour produire dans bien des cas la même chose en polluant moins mais avec plus de travail. On peut néanmoins objecter que le plus grand repos des corps permettrait une meilleure productivité horaire, mais dans une certaine mesure seulement, donc il ne faudra pas en attendre des miracles. De plus, cette proposition est un geste de renonciation sur le fond, car il s'agit de réduire le mal que serait le travail par amoindrissement de sa durée et non de s'attaquer aux rapports sociaux du travail avec pour visée de l'émanciper. Pour ne rien arranger, il y a de quoi penser que le niveau technologique global est insoutenable, comme le pensent en général les partisan·ne·s des basses technologies (aussi dites low-tech). Enfin, pour ce qui est du partage du travail restant, ça ne se partage pas forcément facilement, car certains travaux nécessitent des connaissances spécifiques qui ne s'acquièrent qu'après une longue formation, et faire faire la même chose par plus de personnes nécessitent plus de synchronisation, et celle-ci nécessite du temps. Toutefois, ces critiques n'ont pas pour but d'aller contre la réduction du temps de travail, mais d'en montrer certaines limites, donc d'en avoir des exceptations mesurées et y réfléchir à deux fois avant de tout miser là-dessus.

Démocratie et Capital

Venons-en enfin à ce second aspect / niveau. Il est fort simple et fort connu, bien que très nié dans le discours ordinaire. Nous ne vivons pas en démocratie. La production n'est pas gérée démocratiquement, alors que ce n'est pas un aspect social anecdotique et il en est de même environnementalement.

Les entreprises lucratives peuvent être d'authentiques coopératives de production, mais ce n'est pas un impératif, et en pratique elles sont fort marginales. La raison à cet anti-démocratisme manifeste est bien connue et nullement naturelle : c'est la propriété privée des moyens de production. Ça c'était le niveau micro-économique et sa cause macro-juridique.

Sous l'angle du jugement de démocratisme, les niveaux macro-économique et méso-économiques ne sont pas bien plus reluisants. La mécanique aveugle et impersonnelle de la concurrence via le Marché est un classique de la théorie économique classique. En réalité, la concentration des capitaux peut conduire à une partielle orientation voulue (par les rares ayant des leviers pour) de la production et de sa distribution, notamment quand il y a monopole ou quasi-monopole.

Il y a aussi l'échelon politicien, avec les règles législatives, ainsi que le pôle public de la production et de la distribution. Celui-ci est géré par des fonctionnaires, parfois directement ou indirectement par délégation. Les grandes décisions sont sont prises par des politicien·ne·s, qui font aussi les lois, et qui sont supposément des personnes représentatives de par le verdict électoral. Cependant les conditions de présentation électorale et de publicité électorale pour se faire connaitre ne sont pas uniformément distribuées, loin s'en faut. Ensuite les élu·e·s peuvent s'engager déclarativement à une chose avant d'avoir été élu·e·s, puis ne pas tenter de le faire une fois élu·e·s et même faire carrément l'inverse, sans qu'il n'y ait de mécanisme de révocation rapide. Pour ne rien arranger, alors qu'on peut vivre sans rien changer politiquement, il n'y a pas de quorum pour que l'élection soit valide, c'est-à-dire un minimum d'expression par le vote. De plus, la durée longue prédéfinie du mandat et la professionnalisation possible sont propices à la corruption, qu'elle soit brute et claire ou plus diffuse par une influence plus ou moins perçue. La longue durée combinée à la non-révocabilité conduisent à un autre problème : il peut y avoir un changement progressif de la position du corps social, alors que les personnes élues sont elles invariantes pour un laps de temps non-négligeable. Enfin, le mandat d'élu·e est très ouvert, il peut concerner beaucoup de choses, or il est au mieux très compliqué d'avoir un avis pas trop mauvais sur un sujet sans le connaitre préalablement ou avoir le temps et le prendre pour l'étudier convenablement. Tout cela, que de soi-disant représentativité et du coup d'hétéro-gestion !, ne concoure pour le moins pas à un démocratisme de l'État et de ses prérogatives.

Mais le privé et le politicien sont loin d'être hermétiques l'un à l'autre. Il ne pouvait en fait pas en être autrement, puisque les deux cohabitent sur une même zone. Toutefois on aurait pu espérer que le politicien soit supérieure au privé, car il a une caution (quoi qu'exagérée) de démocratisme. Certes il peut le contraindre et en théorie il le peut même totalement. En réalité, ce n'est toutefois pas si simple. Le privé, comme autre pôle, n'a étonnamment pas envie de se laisser mener contre sa guise. Et il a les moyens de résister et même de mener une guerre, et le mot n'est pas exagéré.

En effet, s'il arrive à s'unifier au moins en grande partie, il ne détient pas moins que l'intégralité ou la quasi-intégralité de la reproduction matérielle collective, ce qui est un moyen de pression considérable si le prolétariat ne lui arrache pas suffisamment à l'intérieur évidemment mais aussi (et c'est plus compliqué) à l'extérieur, et des moyens considérables d'influence et de corruption, ainsi que de formation et de soutien de milices. Évidemment, puisque les gouvernements sont usuellement bourgeois sous le capitalisme, l'inverse étant une exception, les occasions sont rares d'en prendre la pleine mesure. Mais nous avons maintenant des exemples historiques limpides, dont la Commune de Paris de 1871 (qui a été écrasée dans le sang sous le commandement d'Adolphe Thiers), la révolution russe débutée en 1917 (qui a été assaillie de l'extérieur et a fini par dégénérer en une dictature), et le Chili de Salvador Allende de 1970 à 1973 (qui avait été élu dans les règles et a néanmoins connu une adversité considérable, en interne et en externe, qui, de par son légalisme chevillé au corps, a été mis en échec et a tragiquement conduit Augusto Pinochet au pouvoir étatique avec son avalanche de répression).

Cependant, tout irait pour le mieux si le privé était prêt de lui-même à faire ce qu'il faut pour enrayer les problèmes. Mais le rapport du Club de Rome sur les limites de la croissance dans un monde fini, aussi dit "rapport Meadows", a été publiée pour la première fois en 1972. Quant à lui, le GIEC / IPCC (acronymes de Groupe d'Expert·e·s Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat / Intergovernmental Panel on Climate Change) a été fondé en 1988. Mais, au moment de l'écriture de ces lignes, nous sommes en 2021, soit respectivement environ 50 ans après pour le premier et 30 ans après pour le second. Et il est peu dire que ça a largement empiré depuis et que pour le moment on n'est pas en train d'infléchir le ravage, au contraire on l'amplifie encore plus vite !

Du coup, il va falloir que le privé change de lui-même. Dans le cas contraire, il faut qu'il soit contrait, voire qu'il soit carrément annihilé. Et le temps presse, on n'a pas la décennie si l'on veut que pas l'environnement ne devienne pas bien moins propice à l'humanité, y compris pour la partie occidentale, parfois dite du Nord global, mais que l'on peut tout aussi bien qualifiée de partie du monde du capitalisme avancé, qui pollue le plus actuellement et a historiquement pollué le plus, mais qui comble de l'injustice profite le plus des bienfaits des activités polluantes et le moins de ses inconvénients.

Le comment naïf

Mais au fait que nous disait le rapport du groupe 1 du GIEC dont nous parlions en introduction ? que devrait t'il nous conduire à faire ? Ce rapport doit sonner le glas du charbon et des combustibles fossiles, avant qu'ils ne détruisent notre planète… Si nous unissons nos forces maintenant, nous pouvons éviter une catastrophe climatique. Mais, comme le montre clairement le rapport d'aujourd'hui, il n'y a pas de temps à perdre ni d'excuses à trouver. Le changement climatique est un problème qui se pose ici et maintenant. Personne n'est à l'abri. Et la situation s'aggrave de plus en plus vite.

Après la double question, les propos n'étaient pas de moi, ni d'un·e effrondiste / collapsologiste, ni des Amish, ni d'un·e décroissant·e. Ils n'étaient pas plus ceux d'un·e marxiste, d'un·e anarchiste, d'un·e syndicaliste révolutionnaire ou d'un·e anarcho-syndicaliste, ni plus génériquement d'un·e révolutionnaire,. Ils ont été émis par António Guterres, le secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies (ONU). Il mise, ou du moins exprime miser, sur ce qui nous semble être pour le moins improbable, pour ne pas dire délirant au vue de l'enjeu. Je compte sur les chefs de gouvernement et sur toutes les parties prenantes pour que la COP26 [prévue en novembre 2021 à Glasgow en Écosse] soit un succès. Très comique le monsieur. Et ça doit aboutir à pas moins que ça : Les pays doivent également mettre fin à toute nouvelle prospection et production de combustibles fossiles et réorienter les subventions accordées aux combustibles fossiles vers les énergies renouvelables. D'ici 2030, la capacité solaire et éolienne devrait quadrupler et les investissements dans les énergies renouvelables devraient tripler pour maintenir une trajectoire nette zéro d'ici 2050.

Soit l'espoir anti-entropique d'un Green New Deal technologique (qui a entre autres pour problème courant d'assumer qu'énergie primaire renouvelable serait automatiquement convertissable en énergie finale renouvelable et de se borner à l'aspect climatique du changement environnementale défavorable à l'humain) et d'espérer que la chefferie gouvernementale puisse plier le Capital à sa guise et qu'en plus elle le ferait synchroniquement tel un même homme. Pour ce qui est de la seconde hypothèse, il y a pourtant un déçu bien connu et pas des moindres sur le sujet, à savoir Denis Meadows. J'étais jeune, naïf, je me disais que si nos dirigeants se réunissaient pour dire qu'ils allaient résoudre les problèmes, ils allaient le faire. Aujourd'hui, je n'y crois plus ! […] Je pensais aussi honnêtement que nous avions réussi à alerter les dirigeants et les gens, en général, et que nous pouvions éviter l'effondrement. J'ai compris que les changements ne devaient pas être simplement technologiques mais aussi sociaux et culturels.

Que faire ?

Tout ce fatras d'analyses entrêmélées pour quoi ? Tout d'abord pour désenchenter sur l'espoir que peut produire les bonnes paroles, des gens, des entreprises lucratives et des gouvernements. Ensuite pour comprendre la situation, avec une vue économique que nous espérons pas trop mauvaise, suivie d'une vue social-historique, puis sur le démontage rapide de l'hypothèse d'une transition synchronique et sans accroc avec un peu de volonté politique de la part des politicien·ne·s. Enfin, jusqu'à maintenant, pour un retour à la case départ, au sujet d'origine, mais le long détour n'est pas inutile et on espère qu'on l'a fait sentir. Reste à maintenant à savoir que faire socialement. Et ce n'est pas une petite question. Nous nous bornerons là à quelques éléments. Le présent texte était déjà bien long sans ceux-ci et un épais livre pourrait sans problème y être consacré. Nous ne ne priverons d'ailleurs pas de renvoyer à d'autres productions déjà produites sur le sujet.

Commençons par du très basique. On pourrait considérer que le système va fort vraisemblablement réussir de lui-même à répondre adéquatement au problème, ce qui impliquerait d'être vigilant·e à le changer ou à en faire la défense et la promotion (si on pense que c'est le seul candidat viable ou au moins que c'est fort probable ou qu'un changement trop significatif aurait bien trop de risque d'engendrer un système bien moins favorable ou mauvais). Mais, on l'aura compris, on ne penche pas vraiment de ce côté. Il va falloir que ça change et pas qu'un peu. Cela ne se fera pas tout seul, oh que non.

Si c'est mauvais, pourquoi ne pas tout changer ? Éliminons l'État, le Marché et l'argent ! Attardons-nous sur le second et le troisième terme. Ça fait très radical, mais c'est négatif, c'est au mieux une condition nécessaire pour autre chose. Reste à préciser cette autre chose. À moins d'un optimisme démesuré, des précisions s'imposent, car le Marché et l'argent résolvaient des problématiques, mais les supprimer ne les comble pas, ça ouvre juste la possibilité de faire autrement. Généralement la promotion d'un anti-marché radical et de la désargence en reste là, ou est bien abstraite, ou est très localiste et a souvent tendance à miser beaucoup sur la concordance des humains entre eux, alors que le capitalisme a pourtant réussi à s'imposer. Nous sommes donc pour notre part peu convaincu de cette proposition de changement intégral pour transitionner depuis l'existant. Et les changements de ce genre se sont généralement oppérés sur de très longues périodes, mais il faudrait agir bien avant la fin du siècle, le plus vite possible en fait. Ça ne signifie pas qu'on ne puisse pas envisager comme réaliste / raisonnable de réduire la place qu'occupent le Marché et l'argent, pourquoi pas fortement même. Mais de là à envisager de s'en passer intégralement et dans la temporalité de la situation, c'est autre chose.

Passons maintenant à l'État. Des anarcho-communistes ont pu être bien déçus du paragraphe précédent. Peut-être s'attendent t'ils à l'être moins maintenant ? Malheur va s'abattre, mais avec moins d'intensité. En effet, remplacer l'État ce n'est pas peu de choses. Évitons les malentendus : l'État, comme entité de séparation entre des gouverné·e·s et des gouvernant·e·s, soit la forme nationale de l'hétéro-gestion, ça ne nous plait pas, on préférait faire sans, on pense même que c'est possible. Toutefois ça ne se fait pas magiquement. L'État remplit certains rôles, dont certains sont nécessaires. Le supprimer, oui, mais pour le remplacer. Une confédération de communes peut par exemple faire l'affaire (comme l'a prôné notamment Murray Bookchain et comme c'est par exemple mis en oeuvre sous des formes particulières par les kurdes au Rojava en Asie et les zapatistes au Mexique en Amérique du Nord). Une autre possibilité est une confédération syndicale, organisée géographiquement et par branche d'activité, comme le prônent le syndicalisme révolutionnaire et au moins certaines tendances de l'anarcho-syndicalisme. Il y a aussi le possible des conseils ou soviets confédérés.

Mais remplacer, ça veut dire ce que ça veut dire. Et on ne remplace pas un livre par un post-it. Il y aurait un tout petit problème de taille. C'est malheureusement la situation présente. On n'est pas dans l'Espagne de 1936. Les confédérations municipales libertaires et les confédérations syndicales révolutionnaires ou anarchistes sont à l'heure actuelle d'une taille bien trop petite (sachant que j'écris ces lignes en 2021). Pour ne rien arranger, la construction de telles structures sociales met généralement bien du temps, ce que nous avons hélas fort peu. On peut miser sur une croissance incroyable rapide, favorisée par l'état de crise systémique. C'est un espoir que l'on peut avoir, mais il semble pour l'heure fort optimiste. Pour ce qui est des soviets de la Russie révolutionnaire, rappelons qu'ils ne sont pas apparus en 1917, mais en 1905, même si évidemment la révolution a été favorable à leur épanouissement, un temps seulement du moins, car, n'ayant peu eu le temps de se conscientiser et se renforcer suffisamment, ils ont fini par être bouffés par le parti.

On peut aussi être d'un optimisme incroyable, sur-naturel on a même envie de penser. Faisons une insurrection qui balaie l'État, le Marché et l'argent, soit le Mal tombé historiquement sur nous et ayant par malheur improbable d'avoir réussi à prendre ?, alors on s'auto-organisera durablement. C'est pour moi très démesurément optimiste. Les capacités d'auto-organisation se construisent lentement, elles ne sont pas innées dans un état avancé. Les institutions et notamment les nouvelles formes (du point de vue de celleux qui vivent avec) n'émergent pas spontanément sous une forme durable, c'est une longue construction. Le Mal, ou plutôt ce qui est éventuellement identifié comme tel, qui est chassé par la porte a plutôt tendance à revenir par la fenêtre, mais il revient sous une autre forme, et, puisqu'on croit l'avoir chassé à jamais ou au moins pour un certain temps, on n'est d'autant moins enclin à l'apercevoir. Bref, quoi que je n'exclue pas absolument cette hypothèse, elle me semble d'une improbabilité gigantesque.

Reste alors d'en passer par l'État et de laisser partiellement du marché. On retrouve bien sûr ça chez des auteurs marxistes ou proches, comme Frédéric Lordon, Andreas Malm, ou encore Daniel Tanuro. Mais on n'objectera facilement, et à raison, que l'État ça peut très mal tourner, à fortiori en période de crise. La révolution russe débutée en 1917 n'en est-elle pas d'ailleurs un exemple incontestable ? Il faudrait être fou ou crétin pour répondre non. Les léninistes anti-staliniens, comme Daniel Bensaïd et Andreas Malm, en sont bien conscients et on réflichit à ce propos. Dans cette perspective, la chose est alors fort simple : il faut prendre l'État, avec bien sûr et malheureusement tous les risques que ça comporte, et pourquoi pas le transformer en profondeur, notamment pour réduire sa dangerosité, dont le méta-risque ultime est de sombrer dans la dictature. Andreas Malm, qui prône un léninisme écologique (et on peut penser à la prise de l'État comme levier nécessaire sans pour autant être aussi léniniste que lui), a une formule claire là-dessus : il faudrait (au vue des circonstances) se résoudre à habiter le dilemme.

Pour cela, on peut envisager au moins 2 grands moyens. L'un d'eux est idéaliste : il faut grandement méditer le sujet, se forger un esprit fort contre le risque, être une avant-garde par grande préparation intellectuelle. Il y en a au moins un autre, matérialiste lui. Il consiste à n'avoir au mieux que bien modérément confiance dans la puissance de l'esprit face à la situation, qui elle est matérielle et est pensée comme plus déterminante. Il faut alors ériger et maintenir une force matérielle anti-autoritaire aussi forte que possible, sans pour autant sombrer dans l'illusion de l'abolition du pouvoir. Celle-ci peut avoir de multiples formes (parti, organisation syndicale, association, coopérative de production, milice populaire, tendance organisée au sein d'une organisation, etc.) et agir en de nombreux endroits (au sein du parti, dans la rue, dans la production, etc.).

Et on l'a dit, l'État pourrait et devrait être grandement transformé en profondeur. Il pourrait notamment devenir moins hétéronome Par exemple, il pourrait réellement inclure les organisations syndicales dans les décisions, même s'il y aura toujours la tentation de les utiliser comme moyen d'en exploiter la légitimité et en réalité qu'elles n'aient aucun pouvoir ou presque en son sein, sans compter le risque énorme de l'intégration et de la prosternation à laquelle ça peut conduire, comme la guerre d'Espagne en a offert de mémorables exemples. On pourrait aussi imaginer d'autres choses, comme une délocalisation partielle du pouvoir, via par exemple un système socialisé du crédit ou un réseau de caisses d'investissement, et plus globalement reprendre totalement ou en grande partie les grands axes du friotisme (qui n'est quasiment qu'économique et nous ne sommes pas sans ignorer qu'il n'y pas que l'économique, ce serait sombrer dans l'économicisme). Ce n'était là qu'une pico-ébauche bien ridicule sur le sujet. Bref, il y a plein de possibles institutionnels, ainsi que d'acteurs pertinents pour la lutte et éviter un tragique déraillement.

Mais bien peu de choses tombe du ciel et ça n'en fait pas parti, ça se construit, et le plus tôt est le mieux. Réfléchissez donc, car ça n'est pas inutile, mais pensez aussi à la possibilité et la pertinence de vous investir au-delà de votre tête. Au-delà de la cause, s'activer avec d'autres gens, c'est aussi une source potentielle de joie. Et ça compte, pour chacun de nous, mais du coup aussi pour la cause, car ça aide à tenir. Il n'est point besoin de se sacrifier mentalement pour elle. Et tout cela n'était qu'une ébauche de pensée, faite à un moment précis, tâchez de rester critique d'elle et des autres.