Critique écologiste de l'informatique : on ne fait pas que l'utiliser
Il ne faut pas prendre la pollution (de l'informatique et de bien d'autres choses) juste sur une journée. Généralement (mais pas pour autant toujours), plus un objet est complexe (techniquement), plus la pollution sur une journée n'est probablement pas un bon indicateur (pour la pollution et la soutenabilité). C'est particulièrement le cas pour les "hautes technologies" (ou "high-tech" en anglais). L'informatique est un très bon exemple de cela.
Un ordinateur nécessite des métaux, dont un paquet sont loin d'être fortement concentrés en des sources abondantes et dont l'extraction nécessite de l'énergie. Construire un ordinateur nécessite d'assembler les métaux, ce qui implique l'usage d'énergie. Il faut transporter les métaux, les ordinateurs, et potentiellement des sous-parties (unités de calcul, mémoires, carte mère, boîtier, etc.) et sous-sous-parties entre les 2, ce qui requière de l'énergie (et cette fois il y a probablement aussi eu de l'emballage). Ensuite, il y a enfin la consommation individuelle. Après il y a le recyclage (dans la mesure du possible et quand c'est fait) et/ou la gestion des déchets (mais en fait il n'y a pas de "et/ou" : le recyclage à 100% est toujours impossible et un ordinateur se recycle mal), ce qui nécessite de l'énergie. Mais pour tout cela, il a fallu des infrastructures (voies de transport, extraction et/ou production d'énergie pour le transport, production de l'électricité, potentiellement stockage de l'électricité pour contrer l'intermittence du solaire et de l'éolien, acheminement de l'électricité, usines, Internet, etc.), ce qui a encore nécessité de l'énergie et des métaux. Il faut moyenner tout cela sur une journée, en conséquence il ne faut pas naïvement prendre le coup écologique sur une seule journée d'utilisation, puisque cela revient à omettre les infrastructures (qui sont considérables et donc non négligeables).
D'après l'article "Numérique : cette empreinte écologique que les consommateurs ont bien du mal à voir"
(par Nolwenn Weiler, le 20 janvier 2014,
sur le site web "Basta !" / bastamag.net) :
La fabrication concentre plus de 80% des impacts,
selon les variables considérées
(épuisement des ressources, effet de serre,
destruction de la couche d'ozone,
consommation d'énergie, etc.).
D'après "La Lettre du Carbone N°2"
(par Carbone 4, en septembre 2011, sur son site web,
en page 6 sur 8) :
Produire des appareils électroniques
(télévisions, ordinateurs, téléphones, tablettes,
mais aussi toute l'électronique désormais insérée
dans d'autres produits tels que
voiture, électroménager, etc.)
demande un très lourd parc industriel en amont.
Il faut extraire puis transformer
des minerais divers (fer, cuivre, cadmium, coltan…)
aux quatre coins de la planète,
avec pour certains des dépenses énergétiques par kg extrêmement élevées.
La production puis le travail
du silicium de qualité électronique,
notamment, requiert beaucoup d'énergie.
Il faut également fabriquer des verres spéciaux,
et disposer de très nombreux produits dérivés
de la pétrochimie ou de la chimie minérale
(la chimie est la première source
de consommation d'énergie de l'industrie,
absorbant à elle seule environ 8% de l'énergie mondiale).
Enfin le procédé de fabrication est distribué
(chaque usine traite une étape précise),
ce qui occasionne beaucoup de transport de marchandises,
avec une part importante de fret aérien.
À titre d'exemple, la fabrication
d'une télévision à écran plat 31 pouces engendre
les émissions de 1,8 tonne eqCO2,
soit 17% du bilan carbone annuel d'un Français.
En résumé, lorsque l'on évoque la dématérialisation
à propos des nouvelles technologies de l'information,
on oublie généralement que
la fabrication des supports physiques utilisés
(ordinateurs, écrans, électronique et câbles de réseau,
génie civil pour ce dernier, etc.)
est loin d'être immatérielle !
Et de nombreux calculs effectués par Carbone 4 indiquent que
le remplacement du papier par l'électronique
n'aboutit pas nécessairement à une baisse des émissions.
À cela, il y aurait à rajouter que les ordinateurs sont souvent utilisés en intérieur, c'est-à-dire dans un batiment, et c'est majoritairement le cas en milieu dit usuellement "professionnel" (même sans compter les serveurs). En hiver, il est probablement chauffé. En été, il est probablement refroidi (ou plutôt climatisé). À cela, il faut bien souvent rajouter de l'éclairage. Il y a encore consommation d'énergie. Le tertiaire (les services) peut bouffer plus d'énergie que le secondaire (fabrication matérielle) et le primaire (exploitation de ressources naturelles), ce dont on peut avoir l'intuition puisqu'il nécessite bien souvent les 2 autres. Kris de Decker a qualifié cela de la malédiction de la bureautique moderne (originellement dans un article de 2016 pour The Demand Centre, dont une version raccourcie existe sur low-tech magazine, ainsi qu'une traduction en français de cette dernière datée de 2020).
Remarques
- Pour ce qui est de "desktop" contre "laptop", il ne faut pas s'arrêter à la quantité de métaux et à la consommation d'électricité. En effet, il faut notamment aussi prendre en compte la durée de vie et la réparabilité. Que l'un soit meilleur que l'autre (en comptant tout) n'est pas si trivial.
- Pour les personnes en France, il faut prendre en compte l'impact des déchets nucléaires sur le long terme. Pour les autres, il est probable que l'énergie primaire principale pour la production de l'électricité (utilisée comme énergie finale par les composants électroniques) soit le charbon, ce qui est très bon pour le réchauffement climatique. Cela est valable pour le début du 21ème siècle et est bien sûr susceptible de changer, mais ce n'est pas ici le sujet.
- Je n'ai pas fait d'analyse chiffrée et je n'en connais pas. Étant donné le nombre énorme d'éléments à prendre en compte et leur diversité géographique, ce serait extrêmement complexe. De plus, on pourrait chiffrer plein de choses (et certaines de plusieurs manières) : consommation d'énergie primaire, consommation d'énergie finale, juste consommation d'électricité (qui est un type particulier d'énergie), gaz à effet de serre, consommation de métaux, réparabilité, coût sur le long terme des déchets nucléaires, etc.
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Pour des articles complémentaires et plus généraux, il y a par exemple :
-
La "croissance verte" est une mystification absolue
(entretien de Philippe Bihouix, le 16 juin 2015, par Anthony Laurent sur le site web Reporterre) - L'économie peut-elle décroître ? (par Jean-Marc Jancovici, le 1 juillet 2014, sur son blog)
- Société nucléaire (par Roger Belbéochn, paru pour la première fois en 1990)
- Les limites pratiques du recyclage des batteries au lithium (par Philippe Gauthier, le 8 juillet 2018, sur son blogue)
- Quelles technologies pour une société durable ? (par Damien Detcherry, le 5 mars 2018, sur le blog "Atterrissage")
- L'empreinte colossale des technologies numériques (par Kris De Decker, le 16 juin 2009, sur low-tech magazine)
En savoir plus via des livres
Si on cherche des livres, il y a (entre autres) :
- Comment tout peut s'effondrer - Petit manuel de collapsologie à l'usage des générations présentes (écrit par Pablo Servigne et Raphaël Stevens et publié en 2015 chez les éditions du Seuil dans sa collection Anthropocène)
- L'Âge des low tech : vers une civilisation techniquement soutenable (écrit par Philippe Bihouix et publié en 2014 chez les éditions du Seuil dans sa collection Anthropocène)