Le clown qui se croit militant
C'est un militant. Celui-là, il va contre la pensée dominante. Il se sent concerné, réfléchit, le dit, l'écrit, l'affiche. Avec lui, on peut être sûr d'avoir un point de vue critique sur ses sujets, au risque qu'il s'emporte par moment. Notre monde ne lui convient pas, c'est un militant.
La dernière fois,
il m'a partagé un article fort intéressant via Facebook,
il traitait de la surveillance de masse et des bulles de filtres,
et le moins que l'on puisse dire est qu'il est engagé contre.
Je pourrais aussi évoquer cette fois
au KFC,
ça a beaucoup mangé, discuté et échangé
durant cette table ronde publique organisé par ses soins,
on pouvait sentir à quel point
il était engagé pour le véganisme.
Il faudrait également évoquer ce moment
où j'ai voulu me renseigner sur l'anti-capitalisme,
il m'a envoyé des vidéos de communistes bien faites,
et qu'il a eu l'amabilité de
mettre sur YouTube pour mon confort.
Je voudrais aussi raconter sa merveilleuse présentation
à l'école en faveur du logiciel libre,
alors que les autres élèves dont moi
devions individuellement faire une rédaction dessus
(pour vérifier que l'on avait bien été attentif),
mon PC a lâché,
mais il a directement répondu
à mon appel sur son numéro de portable et
il a eu la gentillesse de me prêter
son Mac avec la suite Microsoft Office.
Il y a à ajouter son engagement pour la démocratie,
le pouvoir du peuple, pour le peuple, par le peuple
,
que l'on peut constater avec
ses nombreux appels aux votes à des pétitions
qu'il a lui-même créé en coopération
avec une entreprise via un accord dont il a le secret,
et le tout avec confort grâce au vote électronique.
Je crois que je vais arrêter. Après tout, vous l'avez compris. C'est un militant, notre monde ne lui convient, vraiment pas.
Ou pas. C'est un clown. Il est bon pour le spectacle : discours, tracts, etc. Mais il ne fait rien contre ce quoi il est prétendument contre, il va même à alimenter sans problème ce qu'il décrit comme mauvais. Il est fictif, mais aussi bien réel. Quand un·e prétendu·e militant·e agit visiblement et sans problème pour ce qu'ille dénonce, il ne faut pas avoir de problème à en rire, c'est un·e clown. Cependant, il ou elle pourrait changer, il est donc bon de lui faire remarquer son ou ses incohérence(s), et si possible indiquer comment ille pourrait concrètement au moins se rapprocher de ses prétentions. Pour espérer changer le monde, un·e militant·e se doit de faire en sorte d'être en cohérence avec ses idées, puisque rien n'arrive tout seul et cela montre que c'est possible. On ne peut pas vouloir significativement changer le monde et pleinement "vivre avec son époque".
L'incohérence du clown
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Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft)
sont (en 2019)
des énormes capitalisations boursières
qui pratiquent la destruction fiscale
(appelée
optimisation fiscale
si on veut lui donner un caractère plutôt positif). Favoriser les activités lucratives de ces entreprises (directement ou indirectement) est incompatible avec une lutte anti-capitalisme. Il ne faut pas oublier que YouTube et Waze appartiennent à Google, WhatsApp et Instagram à Facebook, Skype et LinkedIn à Microsoft, etc. - Les GAFAM sont connus pour récolter beaucoup d'informations sur les individus et les exploiter. De plus, ces monstres sont soumis aux lois des États-Unis d'Amérique du Nord ("Patriot Act", etc.), pays qui pratique la surveillance de masse comme la mis en évidence Edward Snowden (même s'il est loin d'être le seul, mais c'est un des pays qui y a mis le plus de moyens). Encourager l'utilisation d'au moins un de leurs services est contradictoire si l'on souhaite mettre un terme à la surveillance de masse, et il en est de même pour certaines de leurs applications. Il faut noter qu'il existe des logiciels éthiques et similaires, ainsi que des moyens éthiques d'avoir des services similaires (comme le montre par exemple le projet GNU, F-Droid, YunoHost, "la brique Internet", l'association Framasoft, et PRISM Break).
- Google et Facebook appliquent des bulles de filtres dont le fonctionnement est secret et peut changer sans avertissement.
- Les Mac sont des ordinateurs faits par Apple. Ils ne sont pas connus pour être aisément réparables et sont par défaut bourrés de logiciels privateurs (avec des DRM).
- Microsoft Office est un logiciel privateur. De plus, son format par défaut, OOXML est très contreversé dans la milieu du logiciel libre. Ce problème n'est pas nouveau et freine le logiciel libre. À la place, on peut par exemple utiliser LibreOffice, AbiWord + Gnumeric, ou Calligra.
- KFC est une chaine de restauration rapide proposant des repas uniquement à base de poulet. C'est bien entendu absurde d'inviter des gens à y manger pour promouvoir le véganisme. Cela peut néanmoins être un excellent lieu pour sensibiliser la population sur le traitement des animaux non-humains, la quantité d'eau pour produire de la viande ou du poisson, comment opter pour un régime alimentaire végétarien ou végétalien, etc.
- Un opérateur de téléphonie mobile sait où sont tous les appareils connectés à son réseau (même quand ceux-ci n'envoient ou ne reçoivent aucune donnée, en ne comptant pas celles de signalisation). De plus, les méta-données téléphoniques peuvent permettre d'en savoir beaucoup sur les personnes. C'est une atteinte à la vie privée, qui peut être utilisée pour intimider des manifestant·e·s ou suivre et analyser des mouvements de foules. D'une manière générale, les puces baseband (qui servent à intéragir avec les réseaux téléphoniques) sont presque toujours (du moins en 2019) gérées par du logiciel non libre qui a plus de probabilités (que du logiciel libre) de contenir des fonctionnalités malveillantes (qui ne sont pas enlevables par n'importe quelle personne programmeuse bien veillante, ce qui serait possible avec du logiciel libre). De plus, il ne faut pas oublier que les ordinateurs avec une fonction téléphone sont souvent bardés de capteurs qui sont parfois utilisables via les puces baseband. Il y aussi l'énorme problème que la puce baseband peut être le maitre du processeur application (qui exécute les applications utilisateurs et l'OS, comme Android, qui va avec). On peut se demander si des machines qui ne sont pas entièrement controllables avec des logiciels libres sont nos amies (ce qui est souvent le cas avec les puces baseband du moins en 2018) ? Si on est contre la surveillance de masse, il faut décourager l'utilisation du réseau téléphonique mobile (par exemple en privilégiant SIP, XMPP, ou en faisant réfléchir sur l'utilité d'être toujours et partout joignable), voire ne pas l'utiliser, puisqu'il est par conception facile de l'utiliser pour surveiller massivement et qu'il n'existe pas de contre-mesure possible. C'est d'ailleurs une des raisons, en plus de celles anthropologiques et écologiques, qui ont amené Pièces et Main d'Oeuvre (de Grenoble) à qualifier le téléphone portable de gadget de destruction massive.
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La vote papier est vérifiable simplement par tous et toutes.
Le vote électronique n'est vérifiable
que par une poignée d'expert·e·s techniques.
Donc le vote électronique est technocratique,
en conséquence il est anti-démocratique
(comme l'a expliqué Guillaume Champeau dans l'article
"Axelle Lemaire favorable au vote par internet : pourquoi c'est une erreur",
qui a été mis en ligne le 6 novembre 2015
sur le site web Numerama).
De plus, si beaucoup ne vont pas voter,
ce n'est pas parce que c'est dur,
mais à cause de l'inutilité ressentie
(toujours la même politique,
tous et toutes corrumpu·e·s, etc.),
le caractère nauséabonde perçue
(voter pour le ou la moins pire,
c'est-à-dire choisir entre la peste et le choléra),
l'adhésion à l'idéologie anarchiste
(qui pour Élisée Reclus implique que
Voter, c'est abdiquer ; nommer un ou plusieurs maîtres pour une période courte ou longue, c'est renoncer à sa propre souveraineté
), et/ou d'autres causes (à ce sujet on peut lire la réflexion de Buffy Mars intitulée "Pourquoi je ne vote pas et pourquoi vos arguments anti-absentionnistes me font (vraiment) chier", qu'elle a publié le 25 janvier 2017 sur son blog). Que des gens soient morts pour le vote n'est pas un argument valable (ce à propos de quoi on peut aller plus loin en lisant "« Des gens sont morts pour que tu votes ! » Est-ce si vrai ?", qui a été publié le 2 décembre 2015 sur le site web Veni Vidi Sensi par Histony probablement). Cependant il y a des arguments qui sont valables (comme l'a par exemple exposé François Ruffin à travers "Les élections ça sert (un peu)", qui a été publié le 21 avril 2017 sur le site web du journal Fakir). Il faut également se questionner si élire un·e soi-disant représentant·e, c'est-à-dire choisir un maitre, est démocratique. On pourrait considérer que ça s'inscrit dans une oligarchie prétendue représentative, en particulier quand on peut multiplier les mandats même plusieurs simultanément ou changer d'un domaine à un autre qui n'a pas ou peu de lien avec le précédent. Néanmoins on peut être d'un avis différent avec le mandat impératif, pour lequel la tâche et la durée sont strictement définies (donc nullement aussi large et long que président de dizaines ou centaines de millions de personnes pendant plusieurs années) et qu'il y a un mécanisme légal de révocabilité actionnable par les personnes électrices, ce qui est bien différent du mandat représentatif (comme c'est le cas du "président de la République" dans la 5ème République de France). Il y a aussi de quoi être surpris qu'un système dit démocratique tolère la tyrannie des détenteurs et détentrices des moyens de production (à ce propos Frédéric Lordon a écrit "Pour la république sociale", qui a été publié par le journal "Le Monde diplomatique" en mars 2016 dans les pages 17, 18 et 19).
Articles pour compléter
- Face au mal-être moderne, une seule issue… (écrit par Yovan Menkevick et publié le 29 septembre 2014 sur le site web reflets.info)
- Amilitants (à propos de l'intégrisme) (écrit par Benjamin Bayart et publié le 29 décembre 2016 sur son blog chez FDN)