Sortir de l'idéalisme en science
Des critiques se basent souvent sur une vision idéaliste de "la science" et de l'épistémologie. Cet idéalisme consiste à croire qu'il existe une différence de nature entre ce qui est "science dure" (mathématiques, physique, chimie, informatique, etc.) et "science molle" (philosophie, sociologie, économie, anthropologie, histoire, géographie, etc.). Cela se base sur le postulat qu'il existe à priori une définition précise de la démarche scientifique, alors que celle-ci est elle-même un objet d'étude…
Avec une telle vision, il y aurait d'un côté les "scientifiques" mettant au point des énoncés "sérieux", et de l'autre des domaines (comme le socialisme) où l'on ne pourrait rien affirmer sauf à être dogmatique.
Cette illusion prend racine dans la facilité à reproduire des expériences, qui est par exemple élevée en physique et faible en psychologie. Mais, en réalité, il s'agit d'un continuum. En physique, à de nombreuses reprises les théories ont finalement été invalidées, comme la théorie newtonienne qui fonctionne en général (dans nos conditions de vie habituelles), mais elle s'est avérée fausse avant que l'on invente la relativité générale, qui est elle-même est fausse puisqu'incompatible avec la mécanique quantique… Il y a un consensus pour considérer que la météorologie est une science, pourtant la fiabilité des prévisions est très limitée (à cause des limites des modèles actuels). La plupart des scientifiques reconnaissent qu'entre la neurologie et la psychologie, malgré le niveau extrêmement rudimentaires de nos connaissances actuelles, il doit y avoir des ponts vers une meilleure connaissance du fonctionnement de la pensée.
Pour les chercheurs et chercheuses en "science molle" (Baruch Spinoza, Karl Marx, Pierre Bourdieu, etc.), il n'a jamais été question d'inventer un schéma qui serait calqué sur la logique métaphysique, où les énoncés ressembleraient à "telle cause A engendre tel effet B". Non pas parce que le principe de causalité serait faux, mais parce qu'avec des sujets sociaux complexes, on n'a jamais affaire exactement à la "même cause A". De plus, les effets ont des rétroactions sur les causes (B modifie A). Enfin, un constat comme "A implique B" est valable dans un contexte donné, mais ce contexte est lui-même modifié lentement par les sommes de changements, et peut brutalement changer les "lois apparentes".
Il ne faut donc pas avoir une vision réductrice de la science, basée sur une analogie avec la logique formelle qui n'est valable que dans un système où toutes les données sont maîtrisées. Pour expliquer le monde réel, que ce soit en météorologie ou en histoire des sociétés de classe, il faut des modèles, qui seront toujours limités et améliorables. Mais par exemple renoncer par principe à chercher une base rationnelle au socialisme, ce n'est au fond que céder à l'idéologie dominante qui veut que la société actuelle soit "naturelle" et indépassable.