La grève et le poison de la division

Laurent Ruquier : Vous connaissez bien les usagers. Qu'est-ce qu'ils vont vous dire le 22 mars prochain et s'il y a les grèves du rail dans les jours qui suivent ? Ils vont vous dire : et bah écoutez, déjà qu'on a les retards et les dysfonctionnements quand cela fonctionne à peu près normalement, maintenant en plus on doit se taper les grèves. Je ne suis pas sûr qu'ils vont soutenir les cheminots.

Olivier Besancenot : Non, mais c'est pour cela que j'ai répondu à votre invitation. C'est pour m'adresser à toutes ces personnes. Parce que c'est vrai que c'est galère quand on est coincé dans un mouvement de grève, ok. Mais des fois, il faut prendre un peu de hauteur et réfléchir à ce qui nous attend pour la suite. En fait, c'est le poison de la division, c'est ce poison qui fait qu'en gros on n'est pas autour de moi.

Laurent Ruquier : On ligue les français les uns contre les autres.

Olivier Besancenot : Voila et cela fonctionne mortellement. Et moi, à ceux qui nous regardent, je voudrais dire cela : ne tombez pas dans le poison de la division. On est tous les cheminots de quelqu'un d'autre à ce jeu là. C'est-à-dire si en tant que travailleur, salarié, chômeur ou retraité, tu commences à postuler qu'un autre salarié, un autre travailleur, simplement parce qu'il a un conquis social que tu n'as pas, tu penses que cela devient un privilégié, alors n'oublie jamais qu'en retour tu risques d'avoir le même discours qui va te concerner dans pas longtemps. Parce que le discours des pouvoirs dominants en place, ils ne concernent pas que les fonctionnaires, ils ne concernent pas que les cheminots. Je les ai vu les unes de journaux pour parler des nouveaux privilégiés : il n'y a pas que les fonctionnaires et que les cheminots, j'ai entendu parler des chauffeurs de taxi, rien à voir avec la fonction publique ; j'ai entendu parler des retraités, des privilégiés ; les étudiants, ils pourraient bien faire un petit effort ; les chômeurs, c'est des assistés ; certaines professions libérales, c'est des privilégiés. Donc si on part de l'idée qu'en gros je ne vais pas bouger un petit doigt pour les cheminots parce que de toute façon j'ai rien à voir avec leur statut, je ne vais pas bouger pour les enseignants parce que de toute façon ils ont trop de vacances, je ne vais pas bouger pour les chômeurs parce que je sais qu'il y a de l'abus, les étudiants pourraient faire un petit effort avec les 5 euros d'APL (Aide Au Logement), le jour où vous allez être attaqués par une mesure, ne venez pas pleurer si vous êtes tout seuls. Le comble du comble, c'est qu'en effet j'ai vu cela passer sur Internet, on vit dans un monde où celleux qui gagnent 150 000 euros par mois en exploitant les autres arrivent peut-être à convaincre celleux qui vivent avec 1500 euros par mois que la cause de leurs problèmes est celleux qui vivent avec 2000 ou 500 euros par mois, en oubliant de s'en prendre à celleux qui sont vraiment responsables de la situation. On en est en train de se jalouser entre nous, nous quand je dis "nous", c'est 85% de la population, on est en train de se jalouser des miettes et je pense qu'en haut de la pyramide socio-économique ils doivent être hilares quand ils nous regardent.


C'est un extrait de de l'émission de télévision ONPC (On N'est Pas Couché) de France 2 du 3 mars 2018. Il y a eu quelques adaptations, notamment pour rendre certains choses plus explicites, sans modifier le fond. En effet, l'oral ne laisse pas le temps de bien peaufiner les phrases et incite à ne pas préciser certains choses pour fluidifier le propos, en particulier dans ce genre d'émission. Cela a été fait par Nicola Spanti qui met ses modifications du présent article sous la licence Creative Commons 0 version 1.0 et qui sont donc dans le domaine public.