La corrida n'est pas un problème

Sans doute qu'avec un tel titre, certaines personnes sont choquées. Probablement qu'une partie en a fui la lecture. Mais je maintiens : la corrida n'est pas un problème. Et j'irais même plus loin : la corrida n'a jamais été un problème.

Et en effet, en quoi la corrida pourrait être un problème ? Qu'est-ce qui pourrait poser problème dans la corrida ? Tuer des animaux pour le plaisir ? Exploiter des animaux pour le plaisir ? Pour l'un ou l'autre ou les deux, alors que c'est pourtant dispensable ?

Les animaux, ou à minima une partie d'entre eux, ne sont-ils pas des êtres comme nous, les humains, en tout cas dans une certaine mesure ? Ne peuvent-ils pas ressentir la douleur ? N'ont-ils pas une conscience d'eux, d'être ? Et ne cherchent t'ils pas à éviter la douleur et la mort, car ils perçoivent qu'elles vont contre le désir de ne pas souffrir et de continuer à vivre ? Ne faisons-nous pas de même et pour les mêmes raisons fondamentales ? De plus, ne considérions-nous pas qu'il est immoral d'infliger ça à quelqu'un d'autre en l'absence de nécessité ? Si oui, pourquoi alors la corrida pourrait être moralement acceptable ?

Mais je vous renvoie la question ! Les taureaux sont des êtes sentients. Ils ressentent la douleur et cherchent à l'éviter. Ils ont conscience d'être et veulent continuer d'être. C'est tout à fait vrai, ils sont sentients. Et alors ? Nous aurions le devoir moral de ne pas à leur infliger des dommages, qu'ils ressentiraient comme tels et d'une façon fondamentalement comme nous, si cela est fait pour le plaisir ?

Pour décorer nos batiments et nos corps, avons-nous besoin d'animaux morts ou de sécrétions d'animaux ? Non, il existe bien d'autres manières, et ce n'est pas indispensable. Pour nous amuser, avons-nous besoin de la chasse ou de la pêche ? Non, il y a plein d'autres moyens, et nous ne considérons pas qu'infliger de la douleur ou la mort à autrui soit une manière acceptable de le faire. Pour nous vêtir, avons-nous besoin, entre autres, de fourrure, de cuir, de plumes ? Non, nous pouvons nous vêtir sans, et c'est déjà le cas dans le réel. Pour subvenir à nos besoins, avons-nous besoin de chair ? Non, il y a notamment les légumineuses (lentilles, haricots secs, pois chiches, soja, etc.), qui regorgent de protéines (et il n'est aucunement besoin d'avoir dans un seul repas la bonne proportion des acides aminés qui constituent ce qu'on appelle protéines), et la vitamine B12 (aussi dite cobalamine), qui est indisponible d'une manière végétale sous une forme absorbée par le corps humain, est produite par des micro-organismes que nous savons cultiver depuis décennies pour obtenir la précieuse B12. Pour subvenir à nos besoins, avons-nous besoin de liquide pour bébés arrachés à leurs mères et tués ? Non, le calcium se trouvent en bonne proportion dans des végétaux, comme les lentilles et le soja. Le végétalisme, le régime alimentaire sans produit animal, ne nécessite t'il pas de coûteux produits (autant du point de vue économique et écologique) ? Non, la vitamine B12 ne coûtent pas bien cher, les céréales et les légumineuses non plus, tandis que les légumes et les fruits sont de toute façon hautement recommandés quelque soit le régime alimentaire, et les oléagineux (les graines et les noix) sont très bien mais pas nécessaires. Mais pour un régime végétalien nutritionnellement adéquat, n'avons-nous pas besoin de similis ? Non, c'est tout à fait inutile, et en fait en général bien moins bien que des végétaux pas ou peu transformés, autant du point nutritionnel, économique et écologique. Etc.

Pour décorer, pour nous amuser, pour nous vêtir, mais aussi pour nous nourrir, entre autres choses, nous infligeons volontairement des dommages à des animaux, à des êtres sentients, et ce en l'absence de nécessité. Pourquoi donc devrions-nous condamner en particulier la corrida ? En quoi est-ce plus mal que d'autres formes d'amusement impliquant exploitation et/ou mise à mort d'animaux ? En quoi est-ce plus mal que de l'exploitation non-nécessaire et de la mise à mort non-nécessaire pour un ou plusieurs autres buts ? Réponse : en rien.

Si nous prenons au sérieux la sentience des animaux, ou au moins une partie d'entre eux (dont les taurreaux, les boeufs, les chevaux, les vaches, les chèvres, les moutons, les ânes, les cochons, les poulets, les lapins, les chiens et les chats, mais aussi les poissons, les crabes et les pieuvres), alors nous ne devrions ni les exploiter ni les mettre à mort. Et cela va au-delà de ce que l'on fait directement : nous ne devrions pas le faire faire, par exemple en subventionnant.

Nous devrions être véganistes et militer pour un monde végan. Au besoin, citons la Vegan Society qui a proposé la définition suivante : Le véganisme est une façon de vivre qui cherche à exclure, autant que faire se peut, toute forme d'exploitation et de cruauté envers les animaux, que ce soit pour se nourrir, s'habiller, ou pour tout autre but.

La corrida n'est donc pas un problème, mais ce qu'elle cause en l'absence de nécessité. Or, elle est très loin d'être seule et son impact est en proportion très mineure. Le problème c'est l'exploitation et la mise à mort d'êtres sentients en l'absence de nécessité. La corrida n'est qu'une manière de causer le problème. Le plaisir que peut procurer la corrida est dispensable, mais l'est tout autant celui de la chasse, de la pêche, de la fourrure, du cuir, des plumes, de la vue d'animaux enfermés, de l'équitation, du transport à dos de dromadaire ou de chameau, de la chair, du lait, des oeufs, du miel, etc.

Nous n'avons pas de bonne raison morale d'en vouloir en particulier à celles et ceux qui font la corrida, qui la promeuvent, qui la subventionnent, etc. Nous n'avons pas de bonne raison morale d'interdire spécifiquement cette pratique. Ce n'est pas plus mauvais que bien d'autres choses et celles-ci nous sont tout autant dispensables. On ne peut même pas se justifier de par l'importance proportionnelle de la corrida dans l'exploitation et la mise à mort volontaires et non-nécessaires d'êtres sentients, elle représente à peu près rien en proportion. Un nombre bien plus considérable d'êtres sentients est sciemment exploité et tué en l'absence de nécessité pour de la fourrure, pour du cuir, pour des plumes, pour de la chair, pour du lait, pour des oeufs, etc.

La seule raison que nous pouvons avoir, si nous ne sommes pas végans ou au moins quasi-végans, pour vouloir abolir spécifiquement la corrida (comme le propose, via un projet de loi, Aymeric Caron, pour la république bourgeoise de France), c'est que nous n'en profitons pas. Cela n'est pas une raison morale. C'est mettre en avant la sentience quand ça nous arrange. C'est bien pratique pour ensuite se présenter comme ami·e·s des animaux non-humains et jeter l'opprobe sur les fans de corrida, alors qu'on ne vaut pas mieux. En effet, si l'on n'est pas végan ou quasi-végan, notre plaisir justifie de fait d'infliger tout aux animaux non-humains. Mais bien sûr, pour ce qui ne nous fait pas plaisir, la corrida par exemple, on pourra là condamner. Et bien sûr, bien souvent, on ne prétendra pas qu'on inflige souffrance et mort à des animaux (humains et non-humains) pour le plaisir, on invoquera d'autres raisons (la tradition, l'habitude, la soi-disant nécessité biologique, etc.), mais elles ne tiennent pas la route si l'on suppose que la sentience importe et pas qu'un peu.

Justifierait t'on le colonialisme par la tradition ? Justifierait t'on le contrôle au facies par l'habitude ? Justifierait t'on le viol des femmes par la perpétuation de l'espèce ? par le besoin de prendre du bon temps ? Alors pourquoi pourrait t'on justifier l'exploitation et la mise à mort non-nécessaires d'êtres sentients ? Eux aussi peuvent souffrir. Eux aussi aspirent à la vie. Certains sont soumis à la corrida, d'autres sont exploités et/ou mis à mort pour autre chose et aussi en l'absence de nécessité, et ce que nous leur faisons n'en est pas moins grave.

La corrida n'est donc pas un problème. Ce qui est problématique, c'est d'exploiter et/ou de mettre à mort un ou des êtres sentients en l'absence de nécessité. L'attitude personnelle qui consiste à ne pas contribuer au problème a un nom simple : le véganisme. La solution au problème est sa généralisation, la généralisation du véganisme.

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