Nicolas Framont et le vide

Le 2 mai 2023, donc après la journée internationale des droits des travailleurs et travailleuses (humains, les animaux non-humains étant de l'ordre de la matière première à merguez), l'intersyndicale large (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, UNSA, Sud-Solidaires, FSU, UNEF, VL, FAGE, FIDL, MNL) nous sort un communiqué avec pour titre Toujours unis, nombreux et déterminés pour le retrait et pour le progrès social . Au-delà de la posture, est appelé à multiplier les initiatives [plus vague et gratuit tu meurs] avec notamment une nouvelle journée d'action commune, de grèves et de manifestations le [mardi] 6 juin . Ça fait donc 1 mois entier sans grève nationale et interprofessionnelle. En fait, ça en fait presque 2, puisque la dernière journée de grève nationale et interprofessionnelle était le jeudi 13 avril.

C'est là qu'intervient Nicolas Framont, alors rédacteur en chef de Frustration Magazine et ayant eu une formation en sociologie. En effet, le 3 mai 2023, sur l'ordinato-plateforme privatrice et centralisée Twitter du capitaliste Elon Musk, il exprime sa pensée… qui a une bonne part de vide.

Les directions syndicales [en fait les bureaux confédéraux, qui agissent avec un mandat, pas forcément adapté ou même un peu précis, les congrès confédéraux pouvant être orientés par les syndicats sur d'autres axes…] proposent une manifestation dans un mois et les partis de gauche [le Parti Capitaliste Franchouillard ? Europe capitaliste anti-Écologie Les pseudo-Verts ? le Parti anti-Socialiste ?] s'engueulent sur les élections européennes. Nos organisations politiques et syndicales [que bien peu font vivre] sont profondément déconnectées du désir de justice immédiate qui s'exprime sans relâche depuis 3 mois.

Comment expliquer ça ? Il y a les excuses de leurs fidèles : les directions syndicales seraient réalistes, elles savent qu'elles ne peuvent pas gagner ce conflit social, elles ne veulent pas faire perdre de l'argent aux gens pour rien en pleine inflation, etc.

Pourtant, elles n'ont pas eu de souci à provoquer une dizaine de journées de grève isolées et sans effet et faire perdre toute une partie du salaire aux gens, pour quoi ? Pour ne rien organiser nationalement un mois de mai ? Pour une journée en juin, peu avant la pause estivale ?

Les partis de gauche s'intéressent aux européennes, parce que c'est important le Parlement européen, [car] ça peut tout changer (non, mais passons) et car cela permettrait de fortifier leur alliance d'ici la présidentielle de… 2027.

En réalité, aucune des grosses organisations issues du mouvement ouvrier ne croit dans le mouvement social et dans la puissance des classes laborieuses quand elles se mobilisent. Leurs cadres sont plus à l'aise dans le cadre perdant mais confortable des échéances bourgeoises.

Ils feignent d'ignorer que les grands changements sociaux que notre pays et les autres ont connu ont davantage été obtenus par les mouvements sociaux que par des compromis sociaux et électoraux. Par le rapport de force et pas par le dialogue social.

Les Français si engagés, si déterminés, désormais majoritairement désintoxiqués des grands mensonges bourgeois, ne disposent pas d'organisations politiques et syndicales à leur niveau. Nous sommes nombreuses et nombreux à penser qu'il est grand temps de construire autre chose.

Voila pour la pensée de Nicolas Framont. Le constat est en partie juste. Mais à quoi mène t'elle ? Il faudrait construire quelque chose… ce qui ne nous avance pour le moins pas beaucoup. On pourrait rétorquer que poser un constat, c'est déjà une appréciable contribution et qu'il est donc mauvais d'en exiger plus. Sauf que le constat est en partie faux, car il vient d'un type qui est dans sa tour.

En effet, Nicolas Framont parle du mouvement ouvrier de construire autre chose, mais il ne semble pas bien le connaitre, du moins au-delà des idées. Et encore, puisque Frustration Magazine, dont il est pour rappel rédacteur chef, a publié le 2 mai 2023 un article nommé Trots…qui ? par Rob Grams, qui fait l'éloge de Léon Trotsky (1879-1940) à travers Jean Batou, Découvrir Trotsky, éditions sociales, 2023, tout en admettant tout de même à la fin (pour celleux qui iront jusque là) que le trotskisme mérite un bilan critique qu'on ne trouvera pas vraiment dans l'ouvrage . Enfin, et surtout, il ne semble pas avoir participé à une organisation depuis la base, ces engagements matériels ayant été formateur CSE (donc de fait accompagnateur du syndicalisme de délégation) et conseiller aux affaires sociales pour le groupe parlementaire de la France Insoumise. Il n'y a donc pas lieu de s'étonner de son attente et perception d'une direction.

Il en est de même pour son inclinaison à sur-estimer la base. En effet, autre chose, ça existe déjà et le moins que l'on puisse dire est que ce n'est pas particulièrement investi. Du côté syndical, il y a notamment les Comités Syndicalistes Révolutionnaires et les Confédérations Nationales du Travail (la CNT-Vignoles, la CNT-SO, les CNT-AIT). Du côté des organisations idéologiques, il y a entre autres l'Union Communiste Libertaire et la Fédération Anarchiste, ainsi que Lutte Ouvrière et Révolution Permanente (d'orientation trotskyste), voire Réseau Salariat (qui se base les idées de Bernard Friot).

Il y aurait d'ailleurs de quoi y puiser de la pensée stratégique. Il serait aussi possible de les sonder sur l'état des forces, autant en terme quantitatif par le nombre d'adhérant·e·s qu'en terme qualitatif par l'implication des adhérant·e·s. Mais il est incontestablement plus facile de se plaindre et de fantasmer la base, comme le fait entre autres aussi Frédéric Lordon. C'est aussi bien plus confortable, puisque le problème est imaginairement reporté sur une poignée d'autres et qu'un très vague appel en l'air ne coûte pas grand chose, à contrario d'une réflexion concrète sur le comment et la mise des mains dans le cambouis.