L'abattoir Galliance d'Ancenis et les associations welfaristes

Le 11 juillet 2023, est publié L'abattoir Galliance d'Ancenis au top de la protection animale . Cet article a été écrit par Delphine Cordaz et Pascal Le Douarin. Il a été publié par un acteur inconnu du grand public : Réussir. Celui-ci se présente comme leader de l'information professionnelle des filières agricoles et alimentaire et qui a pour slogan nourrir votre performance. Le ton est donné : l'objectif est le profit économique dans le monde capitaliste et ça parle franchement, car le lectorat attendu veut ça et paye directement pour ça (à contrario des médias qui vivent au moins en bonne partie des publicités, obligeant à satisfaire les clients publicitaires et celleux prêt·e·s à offrir du temps de cerveaux qui est la marchandise vendue aux publicitaires).

Compris dans son contexte socio-économique, le titre du journal n'a rien de bizarre. En effet, parler à la fois de protection animale et d'un abattoir peut sembler contradictoire, à fortiori en disant que le dit abattoir est au top de la protection animale. Cela est renforcé par l'image principale de l'article qui est juste en-dessous du chapô : on y voit des cadavres de volailles, certes aseptisés (pas de sang, de plume, de patte, etc.), mais sans qu'il y ait encore eu découpage, ce qui facilite la perception du zoonimal mort et donc peut contrarier la chosification de sa dépouille. Mais voila, nous sommes chez Réussir et qui plus est dans sa rubrique volailles, donc la chosification et la marchandisation d'animaux non-humains reconnus comme sentients (c'est-à-dire des êtres vivants ressentant la douleur et aspirant à vivre une fois mis au monde) est tout à fait normal, ça va de soi.

Mais surtout, de par le public recherché, le média ne s'embarrasse pas, il énonce crument les choses, et il sait de quoi il parle. Ça commence dès le chapô (court texte introduisant un article) : le nouvel abattoir […] a été conçu avec des ONG [Organisations Non-Gouvernementales, comprendre associations] militant pour le bien-être animal . Le fait d'exploiter et à la fin tuer des êtres sentients comme les volailles serait donc compatible avec le bien-être animal selon certaines associations, ce malgré que ce ne soit pas nécessairement pour vivre en bonne santé dans un pays comme la France (destruction achevée de la dépendance à sa terre pour subsister, pas de problème d'approvisionnement alimentaire, la vitamine B12 absorbée par le corps humain est facilement accessible et peu cher sans en passer par un hôte animal et cela rend donc viable le régime alimentaire végétalien) et que ce soit loin d'être une nouveauté (c'est le cas depuis des décennies).

Pour en apprendre plus à propos de ces associations, il suffit d'aller à l'intertitre Concertation avec des ONG Welfaristes. Avant même de lire le contenu de cette section, on peut constater la connaissance du vocabulaire approprié pour désigner les associations (dites ONG dans l'article). Il n'est en effet pas juste question d'associations : elles sont qualifiés, de welfaristes en l'occurrence. Or, hors du milieu zoonimaliste ou animaliste, bien peu de gens connaissent ce terme qui vient de l'anglais (welfare y signifie bien-être et donc on peut alternativement parler de bien-êtrisme). Et c'est aussi probablement le cas des journalistes lambdas, qui ont maintenant intégrés pour la plupart qu'il y avait le véganisme et, pour une moins grande proportion, qu'il y a aussi l'anti-espécisme (plus couramment dit, par anglicisme, anti-spécisme). Mais illes sont fort probablement une petite minorité à avoir intégré le welfarisme et en fait là plus précisément le zoowelfarisme.

Entrons maintenant dans ce que nous apprend la section avec le dit intertitre. Elle nous renseigne sur la protection animale. D'abord par Le poulet est endormi de manière moins stressante … et tué après avoir été sciemment fait naitre avec cette finalité qui ne répond pas à un besoin biologique, mais à un désir de cadavre et/ou d'oeuf. Puis avec Les volailles n'ont plus du tout de points rouges qui sont la marque d'un stress , précise Dorig Le Floch, directeur du site , ce qui ne protège les zoonimaux ni de l'exploitation ni de la mort, ça rend juste les choses moins pires, alors que ni l'exploitation ni la mise à mort ne sont nécessaires, à part pour la futilité de la commodité et du bon goût.

Après cette parenthèse, qui permet de parler des personnes zoonimales étant exploitées et tuées, ainsi que de l'égoisme flagrant des consommateurs et consommatrices qui font preuve d'une grande cruauté, venons-en aux associations adéquatement qualifiées de welfaristes. Voila ce que nous dit l'article : La coopérative a sollicité des ONG Welfaristes, comme l'OABA, pour valider des technologies répondant au bien-être animal et anticiper des référentiels de bien-être animal, notamment celui de l'European Chicken Commitment.

On a un premier nom : l'OABA, acronyme pour Œuvre d'Assistance aux Bêtes d'Abattoirs. Il faudrait faire preuve d'assistance aux bêtes d'abattoirs. Le nom de cette association dit tout. Ce sont des bêtes, ce qui négatif, et pas des personnes ou individus. Ces êtres, sentients il faut le rappeler, ont un but que leur fixe des humains : finir à l'abattoir, c'est-à-dire être tués prématurément et évidemment sans consentement de leur part. Enfin, il faut de tout de même avoir un peu d'égard vis-à-vis de ces bêtes, mais sans rien changer de fondamental, il faut juste les accompagner dans le processus pour que ça passe sans trop de heurts. Cela est envisagé dans un cadre précis : est fermement l'objectif, qui implique d'exploiter et tuer, tout en faisant en sorte que ça ne soit pas trop cher bien sûr. Et évidemment il y a aussi le méta-cadre, ce qui rend possible l'objectif, à savoir le fait qu'il soit possible d'être propriétaire d'un animal non-humain. Cela est un implicite d'une évidence dont on ne songe même pas de la mentionner.

Mais rappelons-nous que l'article citait l'OABA comme un simple exemple, une association parmi d'autres. Mieux, il fournit une piste pour aller chercher les autres ou au moins une partie d'entre elles : l'European Chicken Commitment (ou ECC pour les intimes). Pour la France, on trouve ; l'OABA (Œuvre d'Assistance aux Bêtes d'Abattoirs), comme l'article le disait déjà ; Welfarm, dont le nom est également explicite quand on connait le mot anglais dont il est issu (welfare signifie bien-être) ; et… L214.

Cela ne devrait pas surprendre. Pourtant, il est probable que ça surprendrait s'il était connu que l'association L214 cautionne cette protection animale. Et L214 ne fera vraisemblablement pas la promotion d'un article cru à ce propos comme celui qui sert de base à l'article que vous êtes en train de consulter. Pour cause : ça ne ferait pas bien joli vis-à-vis du public de l'association L214 (qui tire son nom de l'article L214-1 du code rural et de la pêche maritime, dans lequel les animaux non-humains sont pour la première fois désignés dans le droit français comme êtres sensibles, mais où il est question d'eux comme des propriétés). Plus : ça casserait un mythe.

En effet, L214 apparait pour beaucoup comme un acteur radical au sein du zoonimalisme organisé en France. C'est d'autant plus le cas depuis la disparition de 269 Libération Animale (qui était animé principalement par Tiphaine Largarde et secondairement par son compagnon Ceylan Cirik), qui avait un mode opératoire bien plus coup de poing. Mais 269LA restait gentillette par rapport à ce qu'il y a pu avoir dans le passé pour cette cause, et on pense là à de l'action allant plus loin et légalement plus répréhensible, à ce que faisait les gens et mini-groupes se revendiquant de l'Animal Liberation Front (ou ALF, cousin de l'ELF pour l'écologie ou plutôt la Terre qui en anglais se dit Earth).

Mais L214, dont le slogan est éthique & animaux…, n'est pourtant pas ce que bien des gens croient. L214 collabore avec des exploiteurs et tueurs d'animaux non-humains. Les médias n'en font pas la publicité. L214 ne met pas non plus ça particulièrement en avant. Mais L214 est loin de s'en cacher. L'European Chicken Commitment a d'ailleurs le droit à sa page dédiée : Entreprises engagées pour les poulets . Il ne diffère en pas grand chose de l'article de Réussir. Son titre n'exprime pas la contradiction, mais son contenu si en revanche, et tout en bas il est question du veggie challenge et des alternatives végétales, qui ne seraient que les simili-carnés et donc aucunement les légumineuses (lentilles, haricots secs, pois chiches, soja, etc.) pas ou peu transformées (houmous, tofu, etc.).

Pourtant les messages mis en avant par L214 sont enclins à ne pas remettre en cause l'usage des animaux non-humains (ou zoonimaux). En effet, il y est montré des abus au sein de l'exploitation et de la mise à mort des animaux non-humains. C'est eux qui sont avant tout, via des enquêtes vidéos, mis en avant et dénoncés par l'association, qui s'appuie d'ailleurs sur la loi non-végane pour appuyer le fait que ce serait des abus, alors qu'on peut au contraire penser que l'abus est l'usage non-nécessaire des animaux non-humains. L'usage des animaux non-humains ne serait pas un abus, mais les abus seraient certains pratiques au sein de l'usage des animaux non-humains, voila le message qui de fait transparait de ce que met majoritairement en avant L214 et que relaie dans une proportion encore plus grande les médias dominants qui recherchent du sensationnel, de l'émotionnel, et ce sous la forme la plus simple possible pour avoir une large audience et que le cerveau reste le plus possible disponible pour les publicités qui font vivre en bonne partie les dits médias.

Certes, par ailleurs L214 promeut le véganisme, c'est-à-dire une façon de vivre qui cherche à exclure, autant que faire se peut, toute forme d'exploitation et de cruauté envers les animaux, que ce soit pour se nourrir, s'habiller, ou pour tout autre but . Mais c'est bien moins mis en avant dans ce que reçoit le public lambda de l'association. Et surtout il y a tout de quoi lui faire penser que c'est juste un moyen particulièrement extrême pour éviter les abus au sein de l'usage des animaux non-humains, puisque son fondement solide n'est pas mis en avant, tout au contraire. En effet, ce sur quoi est mis le projecteur, c'est des abus au sein de l'abus, c'est-à-dire du secondaire si l'on se place du point de vue selon lequel la sentience suffit pour accorder le droit négatif à n'être ni exploité ni tué à part cas de force majeure, comme le défend notamment le théoricien Gary Francione (dont 2 livres ont été publiés en français en 2015 chez les éditions L'Âge d'Homme : avec Anna Charlton, Petit traité de véganisme, qui est très bien pour commencer ; Introduction aux droits des animaux, qui est très bien pour aller jusqu'à l'anti-espécisme et commencer à réfléchir sur comment en finir avec la cruauté envers les animaux non-humains).

Pire : les réformes que prônent L214 depuis des années mènent à la perpétuation de la cruauté envers les animaux non-humains, certes sous des formes adoucies. En effet, ce qui est mis en avant pour tenter de les obtenir légitime l'usage des animaux non-humains en l'absence de nécessité vitale. De plus, étant faite pour être viable dans un monde où de fait la vaste majorité des gens se fout des animaux non-humains, à l'exception de ceux à qui a été assigné la fonction de fournir de la compagnie, il est inacceptable de hausser significativement le prix des produits et services ayant engendrés exploitation et/ou mise à mort des animaux non-humains (ou zoonimaux), car ça rendrait non-viable socialement et donc politiquement les réformes proposées. La stratégie dominante de L214, que Gary Francione qualifie de néo-welfariste, ne tend pas à la réduction de la consommation des produits et services impliquant exploitation et/ou mise à mort des animaux non-humains et donc la cruauté envers eux puisqu'il est possible de s'en passer et en particulier dans un pays comme la France.

Comme l'a résumé Gary Francione dans un article de blogue du 2 mai 2007, le mouvement en faveur du bien-être animal (ou autrement exprimé le zoowelfarisme, et ce dans son ensemble, donc y compris sa composante à prétention abolitionniste dite néo-welfariste dans sa catégorisation) comporte en lui 4 problèmes : (1) les mesures visant à améliorer le bien-être animal offrent [fort souvent] une bien faible protection des intérêts des animaux [non-humains], si tant est qu'elle en offre une  ; (2) les mesures pour le bien-être animal permettent au public de se sentir mieux à propos de l'exploitation des animaux [non-humains] et cela encourage le maintien de l'utilisation des animaux [non-humains]  ; (3) le bien-être animal ne fait rien pour éradiquer le statut de propriété des animaux [non-humains]  ; (4) chaque seconde du temps et chaque cent de l'argent dépensé pour rendre l'exploitation plus humaine représente moins de temps et moins d'argent alloué à l'éducation au véganisme/abolitionnisme .

Pour conclure, faisons un parallèle. Êtes-vous plutôt North-America Black Commitment ou pour l'abolition de l'esclavage humain ? Oups, pardon, on est là dans le cadre zoonimale. Êtes-vous plutôt European Chicken Commitment ou pour l'abolition de l'esclavage zoonimale ? En tout cas, vous devriez au moins reconnaitre que l'une des positions est anti-raciste anti-espéciste, tandis que l'autre est nettement espéciste et clairement anti-éthique pour les zoonimaux.