Jeux Olympiques de 2024 à Paris : pour des grèves massives, pour se donner une bonne conscience ?

Le 16 janvier 2024, est publié Pour des grèves massives pendant les Jeux Olympiques par Guillaume Étievant chez Frustation Magazine (dont le rédacteur en chef est Nicolas Framont et avec Rob Grams comme adjoint). Cet article n'est qu'un prétexte. En effet, l'auteur et le média ne sont pas en particulier visés. Ils sont juste là pour l'exemple. Ce qu'on trouve dans l'article cité nous semble en France être partagé, dans les grandes lignes au moins, par une part significative de la gauche (et sans limite à gauche : cela concerne donc entre autres une partie l'extrême-gauche).

Mais alors quelle est l'idée ? Ça commence par le constat réel que la bourgeoisie fait avancer son agenda et ce avec une grande réussite. Ça continue avec le constat réel qu'elle est prête à s'allier à l'extrême-droite et même à la faire monter, ce qui est au détriment des racisé·e·s, des femmes, des hétérodoxes en terme de genre, mais aussi du salariat au sens de Bernard Friot (c'est-à-dire les travailleurs et travailleuses, qu'illes soient en emploi ou pas, en auto-entreprenariat, à la retraite bien méritée, au chômage ou en formation, mais pas les patron·ne·s qui bossent), ce malgré les prétentions inverses du Rassemblement National (anciennement Front National) qui a réussi sa dédiabolisation et tient à conserver un verni social à contrario de Reconquête mené par Éric Zemmour. En bref : ça pue, ça pue grave même. Et on a là même pas abordé la question palestinienne, ou plutôt le génocide palestinien commis par l'État d'Israël et son armée avec le soutien politicien de l'Occident (qui certes ne rend pas honneur aux politicien·ne·s qui s'y opposent fermement, comme celleux de La France Insoumise, mais illes sont minoritaires) et au moins en France avec aussi celui vigoureux des médias dominants (qui continuent encore de parler de guerre Israël-Hamas et qui fournissent une dissymétrie frappante avec le traitement de l'assaut de la Russie sur l'Ukraine), car il faut dire nettement les choses.

Ces prémisses avérées sur la situation sont complétées par une plus générale. Elle n'est pas brillamment innovante (comme le théorème de Pythagore, ce qui n'en fait aucunement de la connerie) : la lutte des classes existe. Il y a donc du rapport de force. Et si la bourgeoisie gagne du terrain et ce depuis des décennies, c'est qu'il est de plus en plus à son avantage. C'est un problème structurel.

Mais plutôt que d'y réfléchir, pardon dénoncer la bureaucratie des organisations et leurs programmes revendicatifs jugés trop faibles pour se dédouaner de souvent ne pas y participer et de ne pas en créer une ou des nouvelles qui seraient non-bureaucratiques et radicales ou renvoyer la perspective de luttes victorieuses à un vaste mouvement spontané qui ne manquera pas d'avoir des objectifs bien divers au-delà du facile refus de l'existant, il est proposé d'emprunter un raccourci conjoncturel, l'opportunité que représente les Jeux Olympiques de 2024 à Paris. Et en soi, pourquoi pas. Ce n'est pas mal en soi, si c'était réaliste et que ça permettait par après, avec une bonne victoire et des effectifs militants grandis, de s'interroger sérieusement sur les faiblesses et de comment les prendre à bras le corps.

Le problème est que le mot d'ordre est creux. Ses prémisses sont bonnes, ou plutôt celles qui sont apparentes, mais il manque la manière d'arriver à réaliser l'objectif. On peut appeler incantatoirement à la grève, mais l'efficacité en est limitée, le mouvement de 2023 pour nos retraites en est une preuve criante.

Et même dans l'hypothèse, que nous ne partageons pas contrairement à des spontanéistes et léninistes, que le problème serait que les pôles, les confédérations syndicales de lutte, seraient gangrenées par la bureaucratie, ce qui n'est pas tout à fait faux (mais les gens mènent t'ils le combat de l'intérieur ou investissent t'ils des confédérations plus petites comme la CNT dite Vignoles du nom de son local parisien et qui détient le nom de domaine Internet cnt-f.org ?), et que c'est ça qui empêcherait des appels à la hauteur qui seraient suivis en masse, ce malgré l'entrain standard qu'il y a eu pour le 7-8 mars et que le jeudi 23 mars a réuni beaucoup de monde en manifestation spectacle de par les événements politiciens qui l'ont précédé (le jeudi 16 mars, pour passer en force, l'article 49.3 a été employé, et ce pour la 11ème fois par le gouvernement d'Élisabeth Borne qui datait de l'année d'avant… ; le lundi 20 mars, une motion parlementaire de censure contre le gouvernement a échoué à 9 voix près : 278 député·e·s ayant voté pour, tandis que les 295 autres se sont abstenu·e·s ; le mercredi 22 mars, le président de la république bourgeoise a fait son fort prévisible crachat télévisuel, et à 13h pour son fidèle électorat… de retraité·e·s) mais avec un bide pour le mardi 28 mars qui était très peu espacé probablement de par la franche réussite manifestatoire du jeudi 16 mars et enfin le 53e congrès de la CGT (de loin la première confédération syndicale de lutte en France) qui a eu lieu du 27 mars au 31 mars en plein pendant le mouvement donc à chaud et donc qui aurait dû mener à un virage si la base est aussi chaude que supposée par des spontanéistes et des léninistes, même dans cette hypothèse de la bureaucratie molle comme problème premier, à quoi bon faire des appels à la grève ? Le personnel salariée et la structuration des confédérations syndicales de lutte n'ont pas changé.

Pourquoi les gens feraient de la grève dure pour mettre à terre les Jeux Olympiques de 2024 à Paris, alors que ça n'a pas été le cas en 2023 pour les retraites ? Les retraites sont un thème bien plus consensuel que ne l'est d'entraver sérieusement des grands jeux. Et aucune faiblesse identifiée, qu'elle soit réelle ou fantasmée, n'a été corrigée ou ne serait-ce qu'en voie de l'être. Pourquoi donc ça se passerait différemment ? Malgré ou grâce à l'échec cuisant du mouvement pour nos retraites de 2023, les gens seraient maintenant plus réceptifs à l'appel à de la grève dure et surtout prêts à la faire ? Peut-être est-ce le cas pour l'idée. En revanche, pour ce qui est de la matérialisation, il nous semble que c'est une hypothèse fort audacieuse, pour exprimer la chose gentiment.

Mais même en admettant que c'est le moment, il ne faut pas se leurrer : ça ne peut pas réalistiquement rester cantonné à Paris et ses alentours. En effet, ça permettrait d'y concentrer toute la puissance de répression, autant patronale et policière évidemment que médiatique. Le vaste mouvement de grève de dure, s'il avait lieu et ce ne sera probablement pas le cas, se devrait d'être national pour avoir une chance. Et ça ne peut suffire : dans les mouvements inter-professionnels et nationaux de grève, bien des gens du rail et d'autres en ont marre d'y aller d'une manière dure et de se retrouver plutôt seuls en ce cas, donc avec une grosse partie de la répression qui peut se focaliser sur elleux. En plus du problème classique des secteurs d'activité, il faudrait se rajouter le problème géographique ou du moins probablement se le prendre. De quoi fortement mitiger le levier des Jeux Olympiques de 2024 à Paris, levier réel sur le principe mais concrètement pas si facile et à fortiori à militantisme identique.

Pour bloquer suffisamment ce divertissement, anti-social et écocidaire, il faut des syndicats forts. Il faut que bien plus de gens s'investissent dans des syndicats. Il faut que les syndicats, les unions géographiques de syndicats et les fédérations professionnelles de syndicats, aient des caisses de grève bien remplis ou qu'il y ait à priori un fort sentiment que la victoire va être obtenue et que les heures de grève vont être payées par les employeur·euse·s. Il faut aussi que les syndicats et les syndicalistes se soient fait la main avec des conflits de moindre ampleur. Il faut avoir monté des sections syndicales dans les lieux de travail et qu'elles tiennent la route.

Mais qui est ne serait-ce que syndiqué·e ? Une faible part de notre classe. Parmi ces personnes, qui à minima cotisent et c'est déjà fort mieux que rien, combien s'impliquent significativement syndicalement ? Fort peu, encore une fois. Et enfin, au sein de celleux-ci, quelle proportion fait pas mal de travail syndical qui ne concerne pas spécifiquement sa structure employeuse ? Bien peu de gens, à fortiori si on exclut aussi l'indispensable besogne administrative, donc la capacité de développement est faible. Ça ne changera pas en quelques mois. Et même si les gens se syndiquaient en masse et s'investissaient en masse dans les structures syndicales, ils ne seraient pas formés du jour au lendemain.

Il ne s'agit pas là de faire des constats déprimants. Il s'agit de faire des constats réalistes. C'est la condition nécessaire pour avancer. Mais ce n'est pas suffisant : il faut aussi un plan de développement. Nous en avons aussi brièvement proposé un.

Les postures ne nous sauveront pas, c'est de la mise en scène et non de la lutte des classes. Les tranquillisants qui nous font chercher des bouc-émissaires et qui nous empêchent de tirer un bilan critique et qui nous incitent à une confortable inaction, ça ne fait qu'individuellement se donner bonne conscience. Les tribuns ne nous sauveront pas, il n'existe pas de sauveur suprême, si ce n'est nous-même en tant que classe, à condition de s'organiser et de se battre. Il faut réfléchir, mais pas que sur la situation, il faut aussi réfléchir à l'action. Et à l'action il faut passer, et pas juste de temps en temps, ça doit faire parti du mode de vie et ce dans la mesure du possible. Il s'agit de lutter concrètement et durablement. Ou de se résigner, mais on ne peut prôner ça, le péril social et écologique est trop grand, l'action quotidienne et collective est tendanciellement de plus en plus une nécessité et une pour une part grandissante de la population. Prolétaires (au sens large), syndiquez-vous et luttez concrètement avec les camarades !