Interdire la viande de chien, ou comment faire du sur place

Le 9 janvier 2024, est publié En Corée du Sud, le Parlement interdit le commerce de la viande de chien par Le Monde avec l'AFP. Sur l'ordinato-plateforme privatrice et centralisée Twitter/X (et sur d'autres lieux virtuels dits sociaux et peu recommandables), certaines personnes s'en réjouissent, dont Sébastien Arsac (co-fondateur de L214 avec Brigitte Gothière) qui fait ce commentaire : La Corée du Sud interdit l'élevage de chien pour la viande lors d'un vote historique à l'Assemblée nationale. 1 million de chiens sont tués chaque année pour la consommation dans le pays. Les chiens ne sont pas du bétail. Les animaux ne sont pas du bétail.

Divulgâchis : à la place, ils ne mangeront fort probablement pas des légumineuses ou des simili-carnés, mais du lapin, du poulet, du cochon, du boeuf, etc. Pour eux, comme pour l'Occident, ce sont toujours du bétail, d'où la simple substitution, puisque c'est uniquement la non-spécificité intrinsèque des chiens qui fait qu'ils ont la chance d'y échapper et non le fait qu'ils soient sentients comme les autres. C'est le produit logique de la majorité des campagnes ciblées : en sauver certains au détriment d'autres, tout en ayant au passage de fait insinué que les uns différeraient des autres que la campagne ne ciblent pas.

Et ce genre de réjouissance pour ça est aussi tout à fait logique de la part de quelqu'un comme Sébastien Arsac. En effet, la majorité de la communication de L214 qui atteint le public lambda porte sur des cas particuliers qui ne sont pas utilisés comme tremplin pour délivrer un message véganiste et donc allant au-delà d'une espèce particulière. Et c'est là sans même compter que la majorité de la dite communication se focalise surtout non sur l'usage en lui-même mais sur la manière d'exploiter et tuer.

Oui, Sébastien Arsac et Brigitte Gothière sont à priori végan·e·s. Oui, L214 promeut le véganisme, notamment à travers son site web vegan-pratique.fr. Cependant il faut chercher pour tomber sur cette communication véganiste. Le public lambda perçoit avant tout L214 à travers ses enquêtes qui dénoncent, via des vidéos, la manière d'exploiter et tuer et non le fait d'exploiter et tuer sans considération de la manière quand c'est fait en l'absence de nécessité impérieuse (ce à quoi ne correspond pas la commodité, le plaisir et la mode).

À force de se focaliser sur le traitement et non l'usage, L214 et les autres collectifs de type néo-welfariste (selon la catégorisation du théoricien critique Gary Francione) ont tendance à mettre l'abolition si loin au nom du pragmatisme que les esprits finissent souvent par être colonisés par le bien-êtrisme / welfarisme sous une forme qui fait couramment dire des choses qui n'ont rien à envier à celleux qui prônent comme finalité une exploitation et une mise à mort qui seraient compassionnelles. L'étapisme règlementaire des néo-welfaristes les poussent à saluer toutes les étapes, ou plutôt toute avancée dans le droit.

Mais ça ne remet pas en cause l'exploitation et la mise à mort en l'absence de nécessité. Ça ne fait le plus souvent que la déplacer, comme ça va vraisemblablement être le cas avec l'interdiction de la viande de chien en Corée du Sud, ou la rendre individuellement un tout petit peu moins pire. Mais ce faisant, ayant incité le public à se concentrer sur le traitement et non l'usage, ainsi que sur la médiatisation et les dons et non sur le véganisme, l'exploitation et la mise en mort en l'absence de nécessité ne sont pas remis en cause et sont en fait au contraire légitimés sur le principe avec la clause pratique qu'il faudrait le faire d'une manière qui serait compassionnelle. Mais puisque les entreprises capitalistes ne s'intéressent ultimement qu'à leurs profits (ce qui est en réalité une simplification, mais qui est tout de même fort robuste) et que la dénonciation n'y touche pas si elle n'est pas suivie par des actes de déconsommation ou de sabotage ou autre qui les impacterait, rien ne change de leur côté. Il y a certes des campagnes de dénonciation qui ont marché sans acte ou presque, mais il y avait alors la peur des actes.

Au final, les collectifs et individus se disant compassionnels vis-à-vis des animaux non-humains se réjouissent en se disant que quelque chose de bien a été fait, ce qui permet de se donner bonne conscience. Pour les collectifs, ça peut aussi permettre de paraitre utile et d'utiliser ce levier pour avoir des dons et pourquoi pas des subventions. Et le manège peut joyeusement continuer, pour les humains du moins.

Car le déplacement de la consommation d'un produit animal à un autre, par exemple de la viande de chiens à la viande d'autres espèces, n'est pas pas un progrès. Car les mesures règlementaires bien-êtristes qui ont un coût nul ou marginal amoindrissent certes la souffrance, et souvent d'une manière minime, mais elles sont obtenues par une campagne qui légitime l'exploitation et la mise à mort, ce qui va contre l'abolition et peut éventuellement pousser à consommer plus de produits qui seraient maintenant respectueusement produits. Car les mesures bien-êtristes qui coûtent chers et se restreignent à une série d'espèces n'entrainent qu'un déplacement vers quantitativement plus d'exploitation d'autres espèces. Et quand les mesures ne s'appliquent pas aux importations, elles peuvent aussi tout simplement avoir pour conséquence de déplacer géographiquement le problème, au détriment de l'économie locale et donc aussi au détriment de l'indépendance et de l'écologie et potentiellement également des conquêtes sociales.

Les tentatives de voies détournées pour aller vers un monde végan sont au mieux périlleuses. Il faut s'atteler à remettre en cause le noyau dur : l'exploitation et la mise à mort en l'absence de nécessité sérieuse d'êtres pouvant ressentir la douleur et aspirant à vivre une fois mis au monde, c'est immoral et ça doit donc être abandonné. Et évidemment, le plaisir gustatif, la facilité à cuisiner avec ce dont on a l'habitude, se conformer à une mode vestimentaire, et l'abondance de différents produits et services pour le même besoin fondamental (se nourrir, s'habiller, se divertir, etc.), ne relèvent pas de la nécessité. À partir de là, il faut changer. C'est moins agréable que la dénonciation et que s'acheter une bonne conscience avec des dons. Mais si ce qui importe ce n'est là pas soi mais les intérêts des animaux, alors il faut aller outre sa petite personne, autant pour se mettre en cohérence avec la prétention commune au principe de non-violence pour des raisons frivoles que pour bousculer les autres pour qu'illes transitionnent aussi vers le véganisme et sans que ce soit du déclaratif creux.

Il n'y aucune raison de se focaliser sur les chiens et les chats ou sur des manières d'exploiter et tuer qui seraient compassionnelles. Il faut au contraire se focaliser sur la sentience, c'est-à-dire la capacité d'un individu à souffrir et donc à avoir un intérêt à ne pas souffrir et par suite aussi à ne pas être tué car la souffrance est un moyen pour la survie. Ça ne doit pas rester à l'état d'une idée, ça doit devenir concret, se matérialiser. Ça a un nom, que nous avons déjà évoqué : il s'agit ni plus ni moins du véganisme. Alors devenez végan·e et, ensuite voire pendant votre transition si vous en avez besoin (car vous êtes peut-être déjà végan·e ou peut-être l'êtes-vous depuis votre naissance !), contribuez à ce que le véganisme se répande au-delà de votre personne et à terme colonise le monde, non pour parader comme personne moralement supérieure mais parce que les intérêts des animaux comptent et qu'il faut donc en tenir compte sérieusement dans la mesure où ça nous est possible.

En rapport avec le sujet

Lectures théoriques sur le véganisme

  1. Sentience (Gary Francione, blog, 2012)
  2. Pourquoi le véganisme doit être la base (Gary Francione, blog, 2011)
  3. Petit traité de véganisme (Gary Francione et Anna Charlton, éditions L'Âge d'Homme, 2015)
  4. Introduction aux droits des animaux (Gary Francione, éditions L'Âge d'Homme, 2015)

Références pratiques sur le véganisme

  1. www.vivelab12.fr (site web dédié à cette précieuse vitamine à ne surtout pas négligier)
  2. jemangevegetal.fr (site web synthétique et sérieux sur la nutrition végétalienne)
  3. HowDoIGoVegan.com (site web en anglais pour aider à devenir végan·e)

Lectures sur le bien-êtrisme / welfarisme

  1. Comprendre la position welfariste (Gary Francione, blog, 2013)
  2. Les quatre problèmes du mouvement en faveur du bien-être animal : en résumé (Gary Francione, blog, 2007)
  3. À propos du militantisme de type « sang et tripes » (Gary Francione, blog, 2009)
  4. Rain without Thunder: The Ideology of the Animal Rights Movement (Gary Francione, Temple University Press, 1996)